Monday 21 September 2015

Kant : le Je est la forme de ma conscience qui accompagne mes représentations



« Si nous comparons la doctrine de l’âme comme physiologie du sens intime, avec la doctrine des corps, comme physiologie des objets des sens extérieurs, nous trouvons, indépendamment de ce que beaucoup de choses peuvent être connues dans les deux sciences , cette différence remarquable, que dans la dernière science beaucoup de connaissances peuvent être tirées a priori du seul concept d’un être étendu et impénétrable, tandis que dans la première, aucune connaissance synthétique a priori ne peut être tirée du concept d’un être pensant. En voici la raison. Bien que l’un et l’autre soient des phénomènes, le phénomène qui s’offre au sens extérieur a cependant quelque chose de fixe et de permanent, qui fournit un substratum, servant de fondement aux déterminations changeantes, et par conséquent un concept synthétique, à savoir celui de l’espace et d’un phénomène dans l’espace, tandis que le temps , qui est la seule forme de notre intuition interne, n’a rien de fixe et par conséquent ne nous fait connaitre que le changement des déterminations mais non l’objet déterminable .  En effet dans ce que nous nommons l’âme, tout est en un flux continuel, il n’y a rien de fixe, si ce n’est peut-être ( si l’in veut absolument) le Je qui n’est si simple que parce que cette représentation n’a point de contenu, par conséquent point de diversité, ce qui fait qu’elle semble aussi représenter, ou pour mieux dire, designer un objet simple. Il faudrait que ce JE fut une intuition qui, étant présupposée dans la pensée en général (antérieurement a toute expérience) fournit comme intuition a priori des propositions synthétiques, pour qu’il fut possible d’établir une connaissance purement rationnelle de la nature d’un être pensant en General. Mais ce Je est aussi peu une intuition qu’un concept d’un objet quelconque : il n’est que la forme de la conscience qui peut accompagner les deux espèces de représentations et les élever par là au rang de connaissances, à condition que quelque autre chose encore soit donnée dans l’intuition qui fournisse matière à la représentation d’un objet. Toute la psychologie rationnelle s’écroule donc comme une science qui dépasse toutes les forces de la raison humaine ; il ne nous reste plus qu’à étudier  notre âme suivant le fil de l’expérience, et à nous renfermer dans les limites des questions qui ne vont pas au-delà des données de l’expérience interne possible. »

Kant CRP  trade Barni GF p 680

Phénoménologie : le sujet est un projet, toute conscience est intentionnelle.


« Un trait distinctif des vécus qu'on peut tenir véritablement pour le thème central de la phénoménologie orientée « objectivement » : l'intentionnalité. Cette caractéristique éidétique concerne la sphère des vécus en général, dans la mesure où tous les vécus participent en quelque manière à l'intentionnalité, quoique nous ne puissions dire de tout vécu qu'il a une intentionnalité. C'est l'intentionnalité qui caractérise la conscience au sens fort et qui autorise en même temps de traiter tout le flux du vécu comme un flux de conscience et comme l'unité d'une conscience.[6] »

E. Husserl, Ideen I, 1913, §50 ; trad. fr. P. Ricoeur : Idées directrices pour une phénoménologie, Paris, Gallimard, "Tel", 1950, p. 164.







la conscience n’a pas de «dedans » elle n’est rien que le dehors d’elle-même et c’est cette fuite absolue, ce refus d’être substance qui la constituent comme une conscience. Imaginez à présent une suite liée d’éclatements qui nous arrachent à nous-mêmes, qui ne laissent même pas à un « nous-mêmes » le loisir de se former derrière eux, mais qui nous jettent au contraire au-delà d’eux, dans la poussière sèche du monde, sur la terre rude, parmi les choses; imaginez que nous sommes ainsi rejetés, délaissés par notre nature même dans un monde indifférent, hostile et rétif; vous aurez saisi le sens profond de la découverte que Husserl exprime dans cette fameuse phrase : « Toute conscience est conscience de quelque chose… Nous voilà délivrés de Proust. Délivrés en même temps de la vie intérieure : en vain chercherions-nous, comme Amiel, comme une enfant qui s’embrasse l’épaule, les caresses, les dorlotements de notre intimité, puisque finalement tout est dehors, tout, jusqu’à nous-mêmes dehors, dans le monde, parmi les autres. Ce n’est pas dans je ne sais qu’elle retraite que nous nous découvrirons, c’est sur la route, dans la ville, au milieu de la foule, chose parmi les choses, homme parmi les hommes. »

Sartre UNE IDÉE FONDAMENTALE DE LA PHENOMENOLOGIE DE HUSSERL: L’INTENTIONNALITE

Thursday 17 September 2015

Hume : L'unité du sujet est une illusion




Pour ma part, quand j’entre le plus intimement dans ce que j’appelle moi-même, je bute toujours sur quelque perception particulière ou sur une autre, de chaud ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de plaisir. Je ne peux jamais, à aucun moment, me saisir moi-même sans une perception, et jamais je ne puis observer autre chose que la perception ♦. Quand mes perceptions sont supprimées pour un temps, comme par un sommeil profond, aussi longtemps que je suis sans conscience de moi-même, on peut vraiment dire que je n’existe pas. Et si toutes mes perceptions étaient supprimées par la mort, et que je ne puisse ni penser, ni sentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, je serais entièrement annihilé, et je ne conçois pas ce qu’il faudrait de plus pour faire de moi une parfaite non-entité.
Si quelqu’un, à partir d’une réflexion sérieuse et sans préjugé, pense qu’il a une notion différente de lui-même, je dois avouer que je ne puis raisonner plus longtemps avec lui. Tout ce que je peux lui accorder, c’est qu’il peut avoir raison aussi bien que moi, et que nous différons essentiellement sur ce point. Il peut peut-être percevoir quelque chose de simple et de continu, qu’il appelle lui-même, mais je suis certain qu’il n’existe pas un tel principe du moi.
Mais en écartant certains métaphysiciens de ce genre, je peux m’aventurer à affirmer du reste des hommes qu’ils ne sont rien qu’un ensemble {bundle}, une collection de différentes perceptions qui se succèdent les unes aux autres avec une inconcevable rapidité et qui sont dans un flux et un mouvement perpétuels. Nos yeux ne peuvent tourner dans leurs orbites sans faire varier nos perceptions. Notre pensée est encore plus variable que notre vue, et tous nos autres sens et toutes nos autres facultés contribuent à ce changement. Il n’est pas un seul pouvoir de l’âme qui demeure inaltérablement identique peut-être pour un seul moment. L’esprit est une sorte de théâtre où différentes perceptions font successivement leur apparition ♦, passent, repassent, glissent  et se mêlent en une infinie variété de positions et de situations. Il n’y a en lui proprement ni simplicité en un moment, ni identité en différents moments. La comparaison du théâtre ne doit pas nous induire en erreur. Ce sont seulement les perceptions successives qui constituent l’esprit. Nous n’avons pas la plus lointaine notion du lieu où ces scènes sont représentées Ni des matériaux dont ils se composent.
 
HUME  traité de la nature humaine L 1 Partie 4 section 6 (de l’identité personnelle)