Monday 27 January 2020

Platon : Le langage est-il le fruit d'une convention ?


                                         HERMOGÈNE.
Pour moi, Socrate, après en avoir souvent raisonné avec Cratyle et avec beaucoup d'autres, je ne saurais me persuader [384d] que la propriété du nom réside ailleurs que dans la convention et le consentement des hommes. Je pense que le vrai nom d'un objet est celui qu'on lui impose; que si à ce nom on en substitue un autre, ce dernier n'est pas moins propre que n'était le précédent : de même que si nous venons à changer les noms de nos esclaves, les nouveaux qu'il nous plaît de leur donner ne valent pas moins que les anciens. Je pense qu'il n'y a pas de nom qui soit naturellement propre à une chose plutôt qu'à une autre, et que c'est la loi et l'usage qui les ont tous établis et consacrés. S'il en est autrement, [384e] je suis tout disposé à m'en instruire et à écouter Cratyle, ou qui que ce soit.
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SOCRATE.
Il paraît, Hermogène, que l'institution des noms n'est pas une petite affaire ni l'ouvrage de gens médiocres et du premier venu. Cratyle a donc raison de dire qu'il y a des noms naturels [390e] aux choses, et que tout homme ne peut pas être un artisan de noms, mais celui-là seul qui considère le nom propre à chaque chose, et qui sait en réaliser l'idée dans les lettres et les syllabes 


Platon. Cratyle ( 390d)

Descartes: le langage est le propre de l'homme




Or, il est, ce me semble, fort remarquable que la parole étant ainsi définie, ne convient qu'à l'homme seul. Car bien que Montaigne et Charron aient dit qu'il y a plus de différence d'homme à homme, que d'homme à bête, il ne s'est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite qu'elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d'autres animaux quelque chose qui n'eût point de rapport à ses passions, et il n'y a point d'homme si imparfait qu'il n'en use ; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées. Ce qui me semble un très fort argument, pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu'elles n'ont pas de pensées, et non point que les organes leur manquent. Et on ne peut pas dire qu'elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas ; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s'ils en avaient."

 Descartes Lettre à Newcastle