« Ce qu'on n'a jamais vu, ce dont on n'a
jamais entendu parler, on peut pourtant le concevoir ; et il n'y a rien
au-dessus du pouvoir de la pensée, sauf ce qui implique une absolue
contradiction. Mais, bien que notre pensée semble posséder cette liberté, nous
trouverons, à l'examiner de plus près, qu'elle est réellement resserrée en de
très étroites limites et que tout ce pouvoir créateur de l'esprit ne monte à
rien de plus qu'à la faculté de composer, de transposer, d'accroître ou de
diminuer les matériaux que nous apportent les sens et l'expérience. Quand nous
pensons à une montagne d'or, nous joignons seulement deux idées compatibles, or
et montagne, que nous connaissions auparavant. Nous pouvons concevoir un cheval
vertueux ; car le sentiment que nous avons de nous-mêmes nous permet de
concevoir la vertu; et nous pouvons unir celle-ci à la figure et à la forme
d'un cheval, animal qui nous est familier. Bref, tous les matériaux de la
pensée sont tirés de nos sens, externes ou internes ; c'est seulement leur mélange
et leur composition qui dépendent de l'esprit et de la volonté. Ou, pour
m'exprimer en langage philosophique, toutes nos idées ou perceptions plus
faibles sont des copies de nos impressions, ou perceptions plus vives.
[...]Même les idées qui, à première vue, semblent les plus éloignées de cette
origine, on voit, à les examiner de plus près, qu'elles en dérivent. L'idée de
Dieu, en tant qu'elle signifie un être infiniment intelligent, sage et bon,
naît de la réflexion sur les opérations de notre propre esprit quand nous
augmentons sans limites ces qualités de bonté et de sagesse ».
David
Hume, Enquête sur l'entendement humain
(1748), section II, trad. A. Leroy, Éd. Aubier-Montaigne, 1969, pp. 54-56.