Saturday, 14 November 2020

La raison ou bon sens est universellement partagée. Descartes

 

«  Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent ; mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger, et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, mais le principal est de l’appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices, aussi bien que des plus grandes vertus ; et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup d’avantage, s’ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent, et qui s’en éloignent »

Descartes  Discours de la Méthode.

Wednesday, 11 November 2020

B Cassin : les trois possibilités du discours

 

Philosophe et philologue, Barbara Cassin réhabilite la parole et montre son pouvoir. En modelant nos représentations, certains discours changent les façons de penser et de vivre.

À quoi parler sert-il ?

Le discours nous offre trois possibilités, qui ne cessent de se mélanger. On peut d’abord « parler de ». Parler, ici, sert la vérité. On dit quelque chose qui est vrai ou non. Quand je dis que la table est blanche, elle l’est et c’est vrai ou elle ne l’est pas et c’est faux. On peut aussi « parler à ». Dans ce cas, parler sert à persuader. On parle pour que celui à qui l’on s’adresse partage notre point de vue et fasse ce que nous voulons qu’il fasse. Le discours judiciaire en est l’exemple simple : il s’agit de convaincre et de gagner le procès. C’est l’art de la rhétorique. Enfin, on peut « parler pour parler ». Avec cette troisième dimension, il ne s’agit ni de vérité ni de persuasion, mais de « bonheur », au sens de réussite. Le discours produit alors ce que j’appelle un « effet-monde ». Cette fois, il transforme directement le monde. L’effet peut être très limité, comme quand le curé dit « Je te baptise » – c’est ce que le philosophe John Austin appelle un « performatif ». Ou plus vaste et plus diffus, comme quand nos perceptions, nos représentations, sont transformées par le discours, et qu’on se met à voir le monde autrement, à penser autrement. La philosophie peut avoir ce genre d’effet.

Tuesday, 8 September 2020

Merleau-Ponty : Le naturel et le culturel sont entremêlés en l'homme.

 


il n'y a pas chez l'homme de signes naturels (…) on ne pourrait parler de « signes naturels"  , que si , à des « états de conscience » donnés, l'organisation anatomique de notre corps faisait correspondre des gestes définis . Or en fait la mimique (1)  de la colère ou celle de l'amour n'est pas la même chez un japonais et chez un occidental, plus précisément, la différence des mimiques recouvre une différence des émotions elle-mêmes. Ce n'est pas seulement le geste qui est contingent à l'égard de l'organisation corporelle , c'est la manière même d'accueillir la situation et de la vivre . le japonais en colère sourit , l'occidental rougit et frappe du pied ou bien pâlit et parle d'une voix sifflante. il ne suffit pas que deux sujets conscients aient les mêmes organes et le même système nerveux pour que les mêmes émotions donnent chez tous deux les mêmes signes.  ce qui importe c'est la manière dont ils font usage de leur corps (…) et de leur monde dans l'émotion . L'équipement psychophysiologique (2) laisse ouvertes quantités de possibilités il n'y a pas plus ici que dans le domaine des instincts une nature humaine donnée une fois pour toutes . l'usage qu'un homme fera de son corps est transcendant à l'égard de ce corps comme être simplement biologique . il n'est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère où d'embrasser dans l'amour que d'appeler table une table . les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots . Même ceux qui , comme la paternité , paraissent inscrits dans le corps humain , sont en réalité des institutions . il est impossible de superposer chez l'homme une première couche de comportements que l'on appellerait « naturels » et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme , comme on voudra dire , en ce sens qu’il n'est pas un mot , pas une conduite qui ne doive quelque chose à l'être simplement biologique - et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale , ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d'échappement et par un génie de l' équivoque qui pourrait servir à définir l'homme. . 

 

Maurice Merleau-Ponty , phénoménologie de la perception . 1945 .

 

(1)Mimique : expression du visage révélant une émotion.

 

(2) Psychophysiologique : qui relève à la fois du corps et de l'esprit.

Sartre : l'homme est libre de créer son existence

 

Ce que les gens veulent, c'est qu'on naisse lâche ou héros. Un des reproches qu'on fait le plus souvent aux « chemins de la liberté » (1) se formule ainsi : mais enfin, Ces gens qui sont si veules, comment en ferez-vous des héros ?  Cette objection prête plutôt à rire car elle suppose que les gens naissent héros , et au fond , c'est cela que les gens souhaitent penser : si vous naissez lâches, vous serez parfaitement tranquilles, vous n'y pouvez rien , Vous serez lâche toute votre vie quoi que vous fassiez ; si vous naissez héros , vous serez aussi parfaitement tranquilles, vous serez héros toute votre vie , vous boirez comme un héros , vous mangerez comme un héros. Ce que dit l’existentialiste, c'est que le lâche se fait lâche , que le héros se fait héros ; il y a toujours une possibilité pour le lâche de ne plus être lâche , et pour le héros de cesser d'être un héros . Ce qui compte, c'est l'engagement total , et ce n'est pas un cas particulier , une action particulière , qui vous engagent totalement .

(1) Trilogie écrite par Sartre entre 1945 et 1949 qui aborde la question de l'engagement politique .

Jean-Paul Sartre l'existentialisme est un humanisme 1946