Wednesday 11 November 2020

B Cassin : les trois possibilités du discours

 

Philosophe et philologue, Barbara Cassin réhabilite la parole et montre son pouvoir. En modelant nos représentations, certains discours changent les façons de penser et de vivre.

À quoi parler sert-il ?

Le discours nous offre trois possibilités, qui ne cessent de se mélanger. On peut d’abord « parler de ». Parler, ici, sert la vérité. On dit quelque chose qui est vrai ou non. Quand je dis que la table est blanche, elle l’est et c’est vrai ou elle ne l’est pas et c’est faux. On peut aussi « parler à ». Dans ce cas, parler sert à persuader. On parle pour que celui à qui l’on s’adresse partage notre point de vue et fasse ce que nous voulons qu’il fasse. Le discours judiciaire en est l’exemple simple : il s’agit de convaincre et de gagner le procès. C’est l’art de la rhétorique. Enfin, on peut « parler pour parler ». Avec cette troisième dimension, il ne s’agit ni de vérité ni de persuasion, mais de « bonheur », au sens de réussite. Le discours produit alors ce que j’appelle un « effet-monde ». Cette fois, il transforme directement le monde. L’effet peut être très limité, comme quand le curé dit « Je te baptise » – c’est ce que le philosophe John Austin appelle un « performatif ». Ou plus vaste et plus diffus, comme quand nos perceptions, nos représentations, sont transformées par le discours, et qu’on se met à voir le monde autrement, à penser autrement. La philosophie peut avoir ce genre d’effet.

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