Pour ma part, quand j’entre le plus intimement dans ce que j’appelle moi-même,
je bute toujours sur quelque perception particulière ou sur une autre, de chaud
ou de froid, de lumière ou d’ombre, d’amour ou de haine, de douleur ou de
plaisir. Je ne peux jamais, à aucun
moment, me saisir moi-même sans une perception, et jamais je ne puis
observer autre chose que la perception ♦. Quand mes perceptions sont supprimées
pour un temps, comme par un sommeil profond, aussi longtemps que je suis sans
conscience de moi-même, on peut vraiment dire que je n’existe pas. Et si toutes
mes perceptions étaient supprimées par la mort, et que je ne puisse ni penser,
ni sentir, ni voir, ni aimer, ni haïr après la dissolution de mon corps, je
serais entièrement annihilé, et je ne conçois pas ce qu’il faudrait de plus
pour faire de moi une parfaite non-entité.
Si quelqu’un, à partir d’une réflexion sérieuse et sans préjugé, pense
qu’il a une notion différente de lui-même, je dois avouer que je ne puis
raisonner plus longtemps avec lui. Tout ce que je peux lui accorder, c’est
qu’il peut avoir raison aussi bien que moi, et que nous différons
essentiellement sur ce point. Il peut peut-être percevoir quelque chose de simple
et de continu, qu’il appelle lui-même, mais je suis certain qu’il n’existe pas un tel principe du moi.
Mais en écartant certains métaphysiciens de ce genre, je peux m’aventurer à
affirmer du reste des hommes qu’ils ne sont rien qu’un ensemble {bundle}, une collection de différentes perceptions
qui se succèdent les unes aux autres avec une inconcevable rapidité et qui
sont dans un flux et un mouvement perpétuels. Nos yeux ne peuvent tourner dans
leurs orbites sans faire varier nos perceptions. Notre pensée est encore plus
variable que notre vue, et tous nos autres sens et toutes nos autres facultés
contribuent à ce changement. Il n’est pas un seul pouvoir de l’âme qui demeure inaltérablement
identique peut-être pour un seul moment. L’esprit
est une sorte de théâtre où différentes perceptions font successivement leur
apparition ♦, passent, repassent, glissent et se mêlent en une
infinie variété de positions et de situations. Il n’y a en lui proprement ni
simplicité en un moment, ni identité en différents moments. La comparaison du
théâtre ne doit pas nous induire en erreur. Ce sont seulement les perceptions successives qui constituent l’esprit.
Nous n’avons pas la plus lointaine notion du lieu où ces scènes sont
représentées Ni des matériaux dont ils se composent.
HUME traité de la nature humaine L 1 Partie 4 section 6 (de
l’identité personnelle)
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