Saturday, 16 September 2017
Platon : la sensation produit des illusions
« [82d] Non, sans doute, continua Socrate : aussi ceux qui prennent quelque intérêt à leur âme, et qui ne vivent pas pour flatter le corps, ne tiennent pas le même chemin que les autres qui ne savent où ils vont, mais persuadés qu'il ne faut rien faire qui soit contraire à la philosophie, à l'affranchissement et à la purification qu'elle opère, ils s'abandonnent à sa conduite, et la, suivent partout où elle veut les mener.
Comment, Socrate?
La philosophie recevant l'âme liée véritablement [82e] et pour ainsi dire collée au corps et forcée de considérer les choses non par elle-même, mais par l'intermédiaire des organes comme à travers les murs d'un cachot et dans une obscurité absolue, reconnaissant que toute la force du cachot vient des passions qui font que le prisonnier aide lui-même à serrer [83a] sa chaîne; la philosophie, dis-je, recevant l'âme en cet état, l'exhorte doucement et travaille à la délivrer : et pour cela elle lui montre que le témoignage des yeux du corps est plein d'illusions, comme celui des oreilles, comme celui des autres sens ; elle l'engage à se séparer d'eux, autant qu'il est en elle ; elle lui conseille de se recueillir et de se concentrer en elle-même, de ne croire [83b] qu'à elle-même, après avoir examiné au-dedans d'elle et avec l'essence même de sa pensée ce que chaque chose est en son essence, et de tenir pour faux tout ce qu'elle apprend par un autre qu'elle-même, tout ce qui varie selon la différence des intermédiaires : elle lui enseigne que ce qu'elle voit ainsi, c'est le sensible et le visible ; ce qu'elle voit par elle-même, c'est l'intelligible et l'immatériel. Le véritable philosophe sait que telle est la fonction de la philosophie.
Platon Phédon, traduction V Cousin
Sunday, 10 September 2017
La conscience cartésienne : sum res cogitans, je suis une chose qui pense
"Puis, examinant avec attention ce que j’étais, et voyant que je pouvais feindre que je n’avais aucun corps, et qu’il n’y avait aucun monde ni aucun lieu où je fusse ; mais que je ne pouvais pas feindre pour cela que je n’étais point ; et qu’au contraire de cela même que je pensais à douter de la vérité des autres choses, il suivait très évidemment et très certainement que j’étais ; au lieu que si j’eusse seulement cessé de penser, encore que tout le reste de ce que j’avais jamais imaginé eût été vrai, je n’avais aucune raison de croire que j’eusse été ; je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser, et qui pour être n’a besoin d’aucun lieu ni ne dépend d’aucune chose matérielle ; en sorte que ce moi, c’est-à-dire l’âme, par laquelle je suis ce que je suis, est entièrement distincte du corps, et même qu’elle est plus aisée à connaître que lui, et qu’encore qu’il ne fût point, elle ne laisserait pas d’être tout ce qu’elle est." [12]
Descartes, René, Discours de la méthode,
La conscience socratique : tout ce que je sais c'est que j'ignore
"SOCRATE. -Vous connaissez certainement Chéréphon. (...) Or, un jour qu'il était allé à Delphes, il osa poser au dieu la question que voici : - de grâce, juges, ne vous récriez pas en l'entendant; - il demanda donc s'il y avait quelqu'un de plus savant que moi. Or, la Pythie lui répondit que nul n'était plus savant. Cette réponse, son frère que voici pourra l'attester devant vous, puisque Chéréphon lui-même est mort.
Apprenez à présent pourquoi je vous en parle. C'est que j'ai à vous expliquer d'où m'est venue cette fausse réputation. Lorsque je connus cet oracle, je me dis à moi-même : Voyons, que signifie la parole du dieu ? Quel sens y est caché ? J’ai conscience, moi, que je ne suis savant ni peu ni beaucoup. Que veut-il donc dire, quand il affirme que je suis le plus savant ? Il ne parle pourtant pas contre la vérité; cela ne lui est pas possible." Longtemps, je demeurai sans y rien comprendre. Enfin, bien à contrecœur, je me décidai à vérifier la chose de la façon suivante. J'allai trouver un des hommes qui passaient pour savants, certain que je pourrais là, ou nulle part, contrôler l'oracle et ensuite lui dire nettement : "Voilà quelqu'un qui est plus savant que moi, et toi, tu m'as proclamé plus savant." J'examinai donc à fond mon homme; - inutile de le nommer; c'était un de nos hommes d'État; - or, à l'épreuve, en causant avec lui, voici l'impression que j'ai eue, Athéniens. Il me parut que ce personnage semblait savant à beaucoup de gens et surtout à lui-même, mais qu'il ne l'était aucunement. (...) Telle fut, Athéniens, l'enquête qui m'a fait tant d'ennemis, des ennemis très passionnés, très malfaisants, qui ont propagé tant de calomnies et m'ont fait ce renom de savant. Car, chaque fois que je convaincs quelqu'un d'ignorance, les assistants s'imaginent que je sais tout ce qu'il ignore. En réalité, juges, c'est probablement le dieu qui le sait, et, par cet oracle, il a voulu déclarer que la science humaine est peu de chose ou même qu'elle n'est rien. "
Platon, Apologie de Socrate
Subscribe to:
Posts (Atom)