Sunday 10 September 2017

La conscience socratique : tout ce que je sais c'est que j'ignore





"SOCRATE. -Vous connaissez certainement Chéréphon. (...) Or, un jour qu'il était allé à Delphes, il osa poser au dieu la question que voici : - de grâce, juges, ne vous récriez pas en l'entendant; - il demanda donc s'il y avait quelqu'un de plus savant que moi. Or, la Pythie lui répondit que nul n'était plus savant. Cette réponse, son frère que voici pourra l'attester devant vous, puisque Chéréphon lui-même est mort.
Apprenez à présent pourquoi je vous en parle. C'est que j'ai à vous expliquer d'où m'est venue cette fausse réputation. Lorsque je connus cet oracle, je me dis à moi-même : Voyons, que signifie la parole du dieu ? Quel sens y est caché ? J’ai conscience, moi, que je ne suis savant ni peu ni beaucoup. Que veut-il donc dire, quand il affirme que je suis le plus savant ? Il ne parle pourtant pas contre la vérité; cela ne lui est pas possible." Longtemps, je demeurai sans y rien comprendre. Enfin, bien à contrecœur, je me décidai à vérifier la chose de la façon suivante. J'allai trouver un des hommes qui passaient pour savants, certain que je pourrais là, ou nulle part, contrôler l'oracle et ensuite lui dire nettement : "Voilà quelqu'un qui est plus savant que moi, et toi, tu m'as proclamé plus savant." J'examinai donc à fond mon homme; - inutile de le nommer; c'était un de nos hommes d'État; - or, à l'épreuve, en causant avec lui, voici l'impression que j'ai eue, Athéniens. Il me parut que ce personnage semblait savant à beaucoup de gens et surtout à lui-même, mais qu'il ne l'était aucunement. (...) Telle fut, Athéniens, l'enquête qui m'a fait tant d'ennemis, des ennemis très passionnés, très malfaisants, qui ont propagé tant de calomnies et m'ont fait ce renom de savant. Car, chaque fois que je convaincs quelqu'un d'ignorance, les assistants s'imaginent que je sais tout ce qu'il ignore. En réalité, juges, c'est probablement le dieu qui le sait, et, par cet oracle, il a voulu déclarer que la science humaine est peu de chose ou même qu'elle n'est rien. "


 Platon, Apologie de Socrate

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