Ce qui fait la distinction essentielle de l’histoire et de la
science, ce n’est pas que l’une embrasse la succession des événements
dans le temps, tandis que l’autre s’occuperait de la systématisation des
phénomènes, sans tenir compte du temps dans lequel ils s’accomplissent.
La description d’un phénomène dont toutes les phases se succèdent et
s’enchaînent nécessairement selon des lois que font connaître le
raisonnement ou l’expérience, est du domaine de la science et non de
l’histoire. La science décrit la succession des éclipses, la propagation
d’une onde sonore, le cours d’une maladie qui passe par des phases
régulières, et le nom d’histoire ne peut s’appliquer qu’abusivement à de
semblables descriptions ; tandis que l’histoire intervient
nécessairement […] là où nous voyons, non seulement que la théorie, dans
son état d’imperfection actuelle, ne suffit pas pour expliquer les
phénomènes, mais que même la théorie la plus parfaite exigerait encore
le concours d’une donnée historique. S’il n’y a pas d’histoire
proprement dite là où tous les événements dérivent nécessairement et
régulièrement les uns des autres, en vertu des lois constantes par
lesquelles le système est régi, et sans concours accidentel d’influences
étrangères au système que la théorie embrasse, il n’y a pas non plus
d’histoire, dans le vrai sens du mot, pour une suite d’événements qui
seraient sans aucune liaison entre eux.
Antoine-Augustin Cournot, Essai sur les fondements de nos connaissances et sur les caractères de la critique philosophique, 1851.
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