Si donc chaque animal, comme toutes ses parties, ne consistait que dans sa figure et sa couleur, Démocrite aurait pleine raison ; car il semble que voici sa doctrine : « Il est clair pour tout le monde, dit-il, que l'homme est ce qu'il est par la forme dont il est doué, comme si l'on ne reconnaissait l'homme qu'à sa figure et à sa couleur. » On peut répondre qu'un cadavre a aussi la même forme apparente, et que pourtant le cadavre n'est pas un homme. On peut répondre encore qu'il n'est pas moins impossible qu'une main soit réellement une main dans une combinaison quelconque, par exemple si elle est en airain ou en bois. Il n'y a là qu'unehomonymie, comme serait celle d'un médecin en peinture. (641b) La main ne pourrait pas alors accomplir son œuvre propre, pas plus que des flûtes en pierre n'accompliraient la leur, non plus que le médecin peint dans un tableau n'accomplirait la sienne. Semblablement à tous ces cas, il n'est pas une des parties du cadavre qui soit encore une partie véritable du corps, par exemple, l'œil, la main, etc., etc.
Toutes ces explications des philosophes antérieurs sont par trop simples; et elles ressemblent beaucoup à celle que nous donnerait un maçon qui nous dirait que, pour son travail, il se sert d'une main de bois. Ce n'est pas autrement que nos naturalistes nous entretiennent des origines et des causes de la figure des êtres. Il est bien vrai que les origines et les causes ont dû être le résultat de l'action de certaines forces; mais l'ouvrier pourrait nous parler de sa hache et de sa vrille, tout comme le philosophe nous parle d'air et de terre. Seulement l'ouvrier expliquerait encore mieux les choses; car il ne se contenterait pas de nous dire qu'avec son outil dirigé et tombant de telle ou telle façon, il se produit tantôt un trou, et tantôt une surface plane. Il nous dirait de plus pourquoi il a donné tel coup de son instrument, et quel a été son but; enfin, il ajouterait l'explication de la cause qui fait que son ouvrage prend telle forme, ou bien telle autre forme, à son gré. II est donc certain que nos philosophes se trompent, et qu'il faut dire d'abord que c'est de tel animal qu'on entend parler; et ensuite, après l'avoir indiqué, il faut expliquer ce qu'il est en lui-même et quelles sont ses qualités ; il faut en faire autant pour chacune de ses parties, comme on le faisait pour expliquer la forme du lit. Si donc c'est l'âme ou une partie de l'âme qui constitue réellement l'animal, ou que du moins l'animal ne puisse pas exister sans l'âme, puisque l'âme une fois disparue, il n'y a plus d'animal, et qu'aucune de ses parties ne demeure plus la même, si non en apparence, comme dans la mythologie certains êtres sont changés en pierres ; si, dis-je, la chose est bien ainsi, le naturaliste doit parler de l'âme et bien savoir ce qu'elle est. S'il n'a pas à étudier l'âme tout entière, il doit l'étudier tout au moins dans ce point de vue spécial qui sert à expliquer ce qu'est précisément l'animal; il doit connaître ce qu'est l'âme ou cette partie spéciale, avec toutes les conditions, qui à cet égard, constituent son essence.
TRAITE DES PARTIES DES ANIMAUX D'ARISTOTE
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