« Cette véritable méthode, qui formerait les démonstrations dans la
plus haute excellence, s’il était possible d’y arriver, consisterait en
deux choses principales l’une, de n’employer aucun terme dont on n’eût
auparavant expliqué nettement le sens; l’autre, de n’avancer jamais
aucune proposition qu’on ne démontrât par des vérités déjà connues;
c’est-à-dire, en un mot, à définir tous les termes et à prouver toutes
les propositions. […]
Certainement cette méthode serait belle,
mais elle est absolument impossible: car il est évident que les premiers
termes qu’on voudrait définir, en supposeraient de précédents pour
servir à leur explication, et que de même les premières propositions
qu’on voudrait prouver en supposeraient d’autres qui les précédassent;
et ainsi il est clair qu’on n’arriverait jamais aux premières. Aussi, en
poussant les recherches de plus en plus, on arrive nécessairement à des
mots primitifs qu’on ne peut plus définir, et à des principes si clairs
qu’on n’en trouve plus qui le soient davantage pour servir à leur
preuve. D’où il paraît que les hommes sont dans une impuissance
naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit, dans un
ordre absolument accompli. Mais il ne s’ensuit pas de là qu’on doive
abandonner toute sorte d’ordre. Car il y en a un, et c’est celui de la
géométrie, qui est à la vérité inférieur en ce qu’il est moins
convaincant, mais non pas en ce qu’il est moins certain. Il ne définit
pas tout et ne prouve pas tout, et c’est en cela qu’il lui cède; mais il
ne suppose que des choses claires et constantes par la lumière
naturelle, et c’est pourquoi il est parfaitement véritable, la nature le
soutenant au défaut du discours. Cet ordre, le plus parfait entre les
hommes, consiste non pas à tout définir ou à tout démontrer, ni aussi à
ne rien définir ou à ne rien démontrer, mais à se tenir dans ce milieu
de ne point définir les choses claires et entendues de tous les hommes,
et de définir toutes les autres ; et de ne point prouver toutes les
choses connues des hommes, et de prouver toutes les autres. »
Pascal, De l’esprit géométrique (1658).
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