Et comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices,
en sorte qu'un État est bien mieux réglé lorsque, n'en ayant que fort
peu, elles y sont fort étroitement observées ; ainsi, au lieu de ce
grand nombre de préceptes dont la logique est composée, je crus que
j'aurais assez des quatre suivants, pourvu que je prisse une ferme et
constante résolution de ne manquer pas une seule fois à les observer.
Le
premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne
la connusse évidemment être telle : c'est-à-dire, d'éviter soigneusement
la précipitation et la prévention ; et de ne comprendre rien de plus en
mes jugements, que ce qui se présenterait si clairement et si
distinctement à mon esprit, que je n'eusse aucune occasion de le mettre
en doute.
Le second, de diviser chacune des difficultés que
j'examinerais, en autant de parcelles qu'il se pourrait, et qu'il serait
requis pour les mieux résoudre.
Le troisième, de conduire par
ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les
plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusques
à la connaissance des plus composés ; et supposant même de l'ordre
entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les uns les autres.
Et
le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des
revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre.
Ces
longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les
géomètres ont coutume de se servir, pour parvenir à leurs plus
difficiles démonstrations, m'avaient donné occasion de m'imaginer que
toutes les choses, qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes,
s'entre-suivent en même façon et que, pourvu seulement qu'on s'abstienne
d'en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu'on garde toujours
l'ordre qu'il faut pour les déduire les unes des autres, il n'y en peut
avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si
cachées qu'on ne découvre.
Descartes,
Discours de la méthode, Deuxième partie
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