Fiche de lecture
Thèse :
L’homme est principe et non résultat.
Problème : L’homme est-il libre de ses actions ou déterminé par les
autres à agir et à penser ?
1. L’homme est un principe et non un
résultat.
2. Être libre c’est avoir conscience de ce qui me détermine et
me fait agir.
3. L’homme est doué de spontanéité absolue dès lors qu’il
choisit sans être déterminé.
4. Le mot « Je » est donc non seulement
l’indice de la conscience mais aussi de la liberté en moi.
5. Dire « Je
fais » c’est être absolument libre de son action.
Introduction
Dans le mythe de Pygmalion, la déesse Aphrodite change une statue,
Galatée, en femme en lui accordant la vie. Mais faudrait-il donner
également à Galatée une conscience pour qu’elle agisse spontanément ? Le
problème s’applique d’ailleurs à l’homme : sa conscience n’est-elle
qu’une faculté passive, semblable à un miroir, ou lui permet-elle
d’agir et d’exister librement ? La réponse nous est livrée dans ce
texte, extrait des Leçons de Métaphysique : seule la conscience de soi
autorise l’exercice d’une liberté véritable, absolue. Un sujet n’est pas
simplement un être conscient mais également un être libre. Afin de
défendre cette idée Kant procède selon trois moments : de la ligne 1 à
4, il formule son argument principal : l’homme est principe et non
résultat, cause de ses actions et non causé par l’action d’autrui. Puis
il explicite son argument en le justifiant (ligne 4 à ligne 9) : c’est
parce que nous sommes capables d’agir que nous pouvons être qualifiés
d’êtres libres. Un être qui n’éprouverait que des passions perdrait
automatiquement sa liberté. Enfin la dernière partie du texte ( Ligne 10
à la fin ) repose sur une illustration : le fait de parler et de dire «
Je » constitue un indice incontestable de cette liberté métaphysique.
(1. L’homme est un principe et non un résultat.)
La première partie du texte est constituée de phrases courtes qui
relèvent bien d’un registre métaphysique en ce qu’elles énoncent des
vérités qui ne concernent pas l’homme historique, mais l’homme éternel,
l’homme tel qu’il a toujours été ou l’essence de l’homme. Ces « leçons
de métaphysique » ne s’encombrent pas de détails historiques ou
contingents (ce qui sera plutôt l’affaire de l’anthropologie qui
insistera sur les cultures, les différences et les variations) mais
soulignent l’être de l’homme. Le propos de Kant est ici de cerner au
plus près la nature de l’homme, ce qui d’ailleurs correspond à son
projet philosophique qui doit répondre à la question « Qu’est-ce que
l’homme ? ». Qu’est-ce donc que l’homme ? Nous avons envie de répondre
avec Descartes et la « psychologie rationnelle », un être qui possède la
conscience de lui-même. Mais cela serait trop peu dire car l’on
pourrait imaginer un être totalement déterminé par des forces
extérieures, comme un animal ou un automate biologique. Pourrait-on lui
accorder la conscience ? Il pourrait peut-être réaliser certains
processus, mais certainement pas selon Kant accéder au « Je ». L’animal
a
bien des sensations. Il éprouve du plaisir et de la peine et
nous n’hésitons pas dans un vocabulaire non philosophique ou
approximatif à parler de « conscience animale » ou de sentiment vague.
Mais il ne s’agit nullement pour Kant de conscience, terme entendu dans
notre passage au sens de conscience réflexive : celle-ci apparaît avec
l’idée du Moi ou du « Je ». L’homme n’est donc pas n’importe quelle
créature mais une créature capable de dire « Je ». Cette affirmation
enveloppe d’ailleurs toute la réalité de la conscience : « Le « Je »
prouve que j’agis par moi-même » : ce qui signifie deux choses :
premièrement qu’il y a un lien entre la conscience réflexive et l’action
libre, lien qui sera précisé dans la suite du passage et également que
l’action humaine est distincte de la transformation de la matière
inerte et de la pulsion animale. La matière se transforme, mais derrière
cette transformation il n’y a pas de sujet, tout au plus un changement
de forces et de disposition de la matière. Ainsi le tremblement de terre
de Lisbonne qui affecta le Portugal une vingtaine d’années auparavant
n’est pas stricto sensu une « action » de la nature, car la matière
n’était pas « libre » d’aller ici plutôt que là. De même un animal se
dirigeant vers un point d’eau agit-il ? Certes il se déplace mais il est
gouverné par l’instinct, donc n’agit pas véritablement, mais est « agi »
par l’instinct. Il n’agit pas, pour reprendre les termes du texte, «
par lui-même », mais en fonction de processus qui commandent son action,
qui en l’occurrence se rapprochent davantage d’une « réaction » que
d’une action. Seul l’homme est capable d’agir « par lui-même », en étant
au fondement de ses actes. Aristote disait que l’homme est le « père de
ses actes », Kant reprend la même idée en affirmant sa thèse : nous
sommes « principe » et non « résultat ». L’animal est le « résultat »
d’un mécanisme biochimique qui arrive à déclencher chez lui tel désir,
le tremblement de terre est le résultat de l’action des forces
tectoniques, mais nous sommes, nous hommes, fondement ou principe
(principium en latin signifie « début », « commencement » ou « origine
»), la raison d’être unique de nos actions. Mais quel est le sens du mot
« principe » applique à la réalité humaine ? Ne sommes-nous pas
généralement considérés comme des produits de notre éducation, de
multiples influencés et impressions extérieures ? En quel sens
pouvons-nous être qualifiés de « principes » ? Un soldat qui décide de
défendre sa patrie ou de déserter peut certes être influencé par tel ou
tel évènement ou situation, il n’en reste pas moins que lorsqu’on le
jugera, on estimera qu’il a été « responsable », c’est à dire cause de
ses actions et pas nécessairement le produit d’un embrigadement ou d’une
série de mécanismes invisibles. Des lors que l’homme n’est pas
simplement le jouet de forces aveugles ou instinctives, toute action
humaine suppose un sujet qui précède l’action et qui en est la cause
explicative. En ce sens nous sommes tous principes de nos actions,
raison ultime et explicative de nos comportements et de notre existence.
(2. Etre libre, c’est avoir conscience de ce qui me détermine et me fait agir.)
On voit alors dès la seconde phrase l’originalité de la pensée
kantienne : Kant s’efforce d’expliquer la thèse de l’homme-principe, en
montrant qu’être à l’ origine de ses actes n’est qu’une façon de
designer la liberté humaine. Alors que Descartes concluait du « Je »
(Ego) à la conscience puisque c’est la présence active d’une âme qui va
permettre à l’homme de dire « je pense », Kant va plus loin et considère
que le « Je » (« Ich en allemand ») est à l’origine indissociable de
deux concepts : la conscience et la liberté. « Un sujet qui a
conscience… a une absolue liberté » (nous soulignons). Je suis un
être conscient donc je suis libre. Je suis libre donc je suis un être
conscient. Il existe une liaison nécessaire selon Kant entre les deux
notions, il ne saurait y avoir de conscience sans liberté ou de liberté
sans conscience. Mais cette affirmation est-elle aussi claire que Kant
le prétend ? Peut-on conclure d’une possibilité de réflexion, qui relève
de la philosophie théorique, à la possibilité de l’action libre,
dépendant elle d’une philosophie pratique ? N’est-ce pas confondre les
domaines de la réflexion et de l’action ? Être conscient de soi est
certes une qualité cognitive, mais est-ce nécessairement être cause de
soi et de ses actes ? Dans une lettre célèbre (Lettre a Schuller) le
philosophe hollandais Spinoza avait radicalement distingué la conscience
de la liberté. Ce n’est pas, affirmait-il, parce que j’ai conscience
des opérations qui se déroulent en moi que je suis libre de les
contrôler, ou de les arrêter. Ainsi une pierre tombante et soumise à la
gravitation, serait si on lui accordait une pensée consciente de sa
chute mais nullement « libre » de s’arrêter de tomber. Elle le croirait
pourtant. A la lumière des réflexions spinozistes, on peut se poser la
question : Kant n’est-il pas dans notre texte sujet à cette prétention
métaphysique dénoncée un siècle plus tôt par Spinoza ? Peut-on dire
comme il l’affirme dans notre texte : « le sujet possède une liberté
absolue, parce qu’il est conscient.. ». Insistons sur le « parce que »
qui participe d’une relation de causalité : Kant ne dit pas l’homme est
conscient « et » libre. Il dit plus précisément : l’homme est libre «
parce qu’ » il est conscient, il possède donc une spontanéité absolue
(fait d’être cause absolue de certaines actions) parce qu’il possède le
cogito. Mais n’est-ce pas là aller trop loin ? Le fait d’affirmer en
l’homme une absolue liberté est –il compatible avec ce que nous apprend
l’expérience la plus élémentaire ? Peut-on conclure de la conscience
réflexive à l’action libre ? Dans un autre texte célèbre, Kant répond à
ces questions en examinant le problème du mensonge. Le menteur est-il
libre ou déterminé ? Est-il principe ou résultat ? L’originalité de la
solution kantienne est de dire qu’il est à la fois déterminé et libre,
il a certes pu être « influencé » et il est évident que pour sa défense
le menteur insistera sur les causalités extérieures, sur les pressions
multiples des circonstances, de l’entourage et se présentera comme le
résultat malheureux d’une situation donnée. Mais il n’en reste pas moins
qu’il faut le punir, car il est dans un même temps principe ou père de
ses actes : « Or, bien que l'on croie que l'action soit déterminée
par-là, on n'en blâme pas moins l'auteur et cela, non pas à cause de
son mauvais naturel, non pas à cause des circonstances qui ont influé
sur lui, et non pas même à cause de sa conduite passée ; car on suppose
qu'on peut laisser tout à fait de côté ce qu'a été cette conduite et
regarder la série écoulée des conditions comme non avenue, et cette
action comme entièrement inconditionnée par rapport à l'état antérieur,
comme si l'auteur commençait absolument avec elle une série de
conséquences. » (Kant : Critique de la raison pure. 1781 (2°édition
1787).PUF. Trad.Tremesaygues et Pacaud. p.405.). Nous avons là
l’explication de ce « Je », si important pour la liberté. C’est parce
que malgré mes déterminations, je peux dire « Je » qu’il y a un lien
entre ma conscience et ma liberté. En prenant conscience de l’unité de
mon Moi, je prends conscience dans un même temps que je suis capable
d’être à l’ origine d’une série d’actes, qui vont s’expliquer non
pas par la présence des autres mais par la présence du « Moi ». «
J’agis sans une détermination extérieure… je possède une spontanéité
absolue ». Ainsi le kantisme n’est pas la négation du déterminisme, nous
sommes bien conditionnés par de multiples choses puisque nous sommes
bien des êtres naturels, mais dans un même temps, nous sommes capables
d’être la source inconditionnée de nos actes, puisque nous sommes dans
un même temps des êtres libres. Le « Je » nous permet de donner de
l’unité à nos actions en les rattachant à l’activité d’un sujet libre et
conscient. Kant justifie ensuite sa thèse selon laquelle l’homme est
principe en distinguant deux types de mouvements en moi : l’action et la
passion. « Le sujet …n’est pas un sujet qui pâtit mais un sujet qui
agit ». Si en effet nous n’étions que le résultat de lois psychologiques
ou pulsionnelles, nous serions uniquement condamnes a réagir, sans
posséder aucune possibilité d’action autonome. Dire que nous sommes
Principes de nos actions c’est échapper à l’emprise du corps , de la
sensibilité et des passions. Avec le « Je » apparait la lumière de la
volonté et de la conscience.
(Le langage comme preuve de la conscience et
de la liberté.)
Mais Kant est-il capable de donner des preuves de ce
lien entre la conscience et la liberté ? Après avoir expliqué sa thèse (
à l’aide des concepts d’action et de passion ), nous passons dans un
troisième moment à l’illustration : La fin du passage s’emploie à
multiplier les exemples tires de notre usage linguistique du mot « Je ».
Cette illustration linguistique vient souvent chez Kant compléter les
apports de la psychologie. Écouter la façon dont nous disons « Je »
(Ich), nous permettra de mieux comprendre ce qu’est l’essence du Moi. On
est là à l’ opposé du style de Descartes qui souvent se méfie des «
mots » qui « parfois nous trompent ». Ici le langage possède une valeur
de vérité et révèle en quoi conscience et liberté ont partie liée. Tous
les arguments de la fin du texte reposent sur le « dire » : « Si je
n’étais pas libre, je ne pourrais pas dire.. ». La langue est
révélatrice de cette spontanéité absolue du « je ». Pourquoi ? Quelles
sont les significations implicites qui se cachent derrière l’usage le
plus quotidien du mot « Je » ? Les mots ne sont pas innocents, ils
cachent toute une philosophie de la conscience ainsi que des
déterminations pratiques. Écoutons donc le langage : « j’ouvre une porte
», « je prends une plume », « je soulève un poids », « je conduis une
expérience ». Dans tous ces actes de la vie courante, c’est bien le
sujet qui est le centre de l’action. Et le langage m’indique bien ceci
par la formule : j’agis. Lorsque je dis j’agis, trois choses se
déroulent simultanément que Kant analyse finement : j’agis physiquement
dans le monde (j’ induis une transformation), je suis conscient de mon
acte (au niveau mental ou de mes représentations), enfin je formule
cette prise de conscience par des mots ou une formule. Je dis « J’agis
», en même temps que je pense mon action et en même temps que mon acte
se réalise. Kant part donc ici du simple fait de langue comme révélateur
d’une vérité d’ordre psychologique : dire j’agis signifie quoi ? Que
c’est bien « moi » et non un autre, qui suis au fondement de mes
actions. Sinon la formule n’aurait aucun sens, ni pour les autres, ni
pour moi-même. C’est donc un effet de cohérence qui va préserver la
liberté de l’homme. C’est parce que je « dis » bien quelque chose (et
non pas une absurdité) lorsque j’affirme que j’agis, que la liberté
devrait être plus qu’une simple hypothèse. Nous savons cependant que
Kant affirmera que la liberté de l’homme ne peut stricto sensu «
être prouvée » comme un théorème, elle demeure un simple postulat. Mais
sans constituer une « preuve « de la liberté, le langage et le fait
déclaratif n’en demeurent pas moins des indices établissant un effet de
cohérence. Il n’est pas absurde de se prétendre libre, car nous nous
déclarons libres en parlant à la première personne: « Si je n’étais pas
libre, je ne pourrais pas dire « je le fais », mais je devrais dire « je
sens en moi une envie de faire que quelqu’un a suscitée en moi ». Ce
qui s’opposerait donc à la liberté serait donc la passion ou la
détermination psychologique. Dans la passion, c’est l’autre qui agit et
moi qui réagit : je tombe amoureux ou l’autre m’irrite et suscite en moi
la colère. Par contre dans l’action, je fais l’expérience de la
spontanéité absolue et je suis autorisé à dire « J’agis ». La
conscience est ce qui constitue le « Je » et c’est bien parce qu’il y a
un « Je » que l’action peut être qualifiée de libre, sinon, il faudrait
comme Spinoza supposer une détermination de l’homme qui aboutirait à la
négation du libre-arbitre, mais également se méfier du langage et le
considérer comme une puissance illusoire, maitresse de fausseté. Kant se
refuse à faire peser ce double soupçon sur la conscience et le langage.
Il nous faut « croire » dans le sens des mots afin que l’on puisse
postuler une nature consciente et libre de l’homme.
La
dernière partie du texte s’articule sur un raisonnement par l’absurde.
Dans ce type de raisonnement, au lieu de prouver la thèse que l’on veut
défendre, on suppose pour un temps limité la thèse à laquelle on
s’oppose et l’on démontre son absurdité, généralement le fait qu’elle se
contredit elle-même si on analyse toutes les propositions qui
s’ensuivent. Kant part donc de la thèse à laquelle il s’oppose, qui est
la thèse spinoziste ou déterministe selon laquelle il n’y a pas d’action
libre. « Si je n’étais pas libre.. » : Il va donc examiner ici deux
choses, tout d’abord quel est le sens de cette non-liberté, d’autre part
les propositions philosophiques qu’elle implique. Ceux qui nient
l’existence de la liberté doivent admettre qu’ils ne sont pas sources de
leurs actions ou de leurs paroles (si l’on considère le fait de parler
comme un mode spécifique de l’action). Donc si l’on accepte le principe
du déterminisme , il nous faut admettre que l’autre m’utilise comme un «
moyen » : privé de liberté, je deviens un simple instrument au service
de la pensée d’autrui qui pourrait non seulement me contraindre de façon
extérieure, mais également utiliser mes pensées, jouer avec mes
représentations comme Méphistophélès jouait avec le docteur Faust ou le
malin génie de Descartes qui ferait « immédiatement en moi quelque chose
que je fais ». Nier la liberté en l’homme reviendrait inévitablement à
devenir le jouet des autres, à n’exister que par procuration et à jouir
d’une quasi-existence. Notons que l’exemple kantien est pire que
l’esclavage car un esclave est contraint « extérieurement », par la
force ou la violence mais il demeure libre de refuser « mentalement »
son esclavage, de résister. Or l’absence de liberté ou l’idée d’une
détermination totale suppose un double déterminisme : extérieur mais
également interne. Dans ce cas tragique, celui qui veut, agit, pense, se
représente, ce n’est pas moi, ce serait l’autre, qui agit «
immédiatement en moi » dit le texte. Il s’agit ici d’une situation
hyperbolique, tragique mais impossible d’un point de vue logique selon
Kant. Pour quelle raison ? L’hypothèse d’un déterminisme absolu
s’effondre automatiquement si l’on prend en considération les
significations du langage commun. En effet si nous nous entendons
sur la vérité des significations communes véhiculées par le langage,
certaines choses deviennent impossibles : par exemple je ne peux dans un
même temps dire « je fais ceci » et supposer une détermination absolue.
L’emploi de la première personne du singulier est l’indice que je suis
bien à l’origine de mes actions et de mes représentations. L’hypothèse
d’un malin génie est incompatible avec le simple fait de dire « Je » :
un homme manipulé devrait dire « Il » agit à ma place, comme les fous
qui se croient possédés par un esprit. Des lors que je dis « Je »,
j’affirme la nature libre de l’homme, non pas par un traité de
philosophie, mais par une simple proposition du langage commun. Parler
n’est pas simplement exprimer des idées, ou constater des faits, parler
présuppose également certaines vérités : en disant tout simplement « Je
», l’homme présuppose son essence libre. On sait que Kant dans son
anthropologie remarquera que ce pouvoir de dire « Je », donc de parler à
la première personne du singulier apparait dans toutes les langues. «
Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme
infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur terre. Par-là,
il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience dans tous les
changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même
personne, c’est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la
dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut
disposer à sa guise ; et ceci même lorsqu’il ne peut pas dire Je, car il
l’a dans sa pensée ; ainsi toutes les langues, lorsqu’elles parlent à
la première personne, doivent penser ce Je, même si elles ne l’expriment
pas par un mot particulier. Car cette faculté (de penser) est
l’entendement. » la présence universelle du « Je » est donc bien
l’indice d’une liberté essentielle qui fait de l’homme une « personne ».
Un enfant ou un homme aliéné diraient toujours « Il », seule la
première personne nous affranchit des déterminations extérieures et
révèle notre nature véritable de sujet libre.
(Conclusion)
L’intérêt philosophique de ce texte s’est donc révélé clairement : la
conscience n’est pas seulement ce qui éclaire, elle est également
motrice, elle permet l’action libre puisqu’être libre c’est penser le «
Moi » comme cause absolument première des pensées et des mouvements. On
se rend compte par là même occasion que ce texte comporte dans un même
temps une dimension morale : seul un sujet libre de ses actions pourra
être considéré comme responsable et susceptible d’être jugé. On ne juge
pas une pierre ou un animal car ils sont « objets » de la nature plus
que « sujets » libres et conscients. Mais n’y a-t-il pas dans toute
métaphysique, même dans celle éclairée par la critique de Kant, un
optimisme radical : L’idée d’une maitrise réelle, efficiente, absolue
par le Moi de la totalité du psychisme ? On sait que la découverte de
forces inconscientes par Freud brisera cette unité de l’esprit, si
chèrement revendiquée par Kant dans ce texte, et introduira un doute
durable dans cette affirmation de soi par soi. Sommes-nous aussi libres
que Kant le prétend ? N’y a-t-il pas dans cette liberté du sujet une
grande part d’illusion ?
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