Si en effet nous repoussons le langage et la mythologie chosiste de la
psychanalyse nous nous apercevons que la censure, pour appliquer son activité
avec discernement, doit connaître ce qu'elle refoule. Si nous renonçons en
effet à toutes les métaphores représentant le refoulement comme un choc de
forces aveugles, force est bien d'admettre que la censure doit choisir et, pour
choisir, se représenter. D'où viendrait, autrement, qu'elle laisse passer les
impulsions sexuelles licites, qu'elle tolère que les besoins (faim, soif,
sommeil) s'expriment dans la claire conscience? Et comment expliquer qu'elle
peut relâcher sa surveillance, qu'elle peut même être trompée par les
déguisements de l'instinct? Mais il ne suffit pas qu'elle discerne les
tendances maudites, il faut encore qu'elle les saisisse comme à refouler, ce
qui implique chez elle à tout le moins une représentation de sa propre
activité. En un mot, comment la censure discernerait-elle les impulsions
refoulables sans avoir conscience de les discerner? Peut-on concevoir un savoir qui serait ignorance de soi? Savoir,
c'est savoir qu'on sait, disait Alain. Disons plutôt: tout savoir est
conscience de savoir. Ainsi les résistances du malade impliquent au niveau de
la censure une représentation du refoulé en tant que tel, une compréhension du
but vers quoi tendent les questions du psychanalyste et un acte de liaison
synthétique par lequel elle compare la vérité du complexe refoulé à l'hypothèse
psychanalytique qui le vise. Et ces différentes opérations à leur tour
impliquent que la censure est consciente (de) soi. Mais de quel type peut être
la conscience (de) soi de la censure? Il faut qu'elle soit conscience (d')être
conscience de la tendance à refouler, mais précisément pour n'en être pas
conscience. Qu'est-ce à dire sinon que la censure doit être de mauvaise foi? La
psychanalyse ne nous a rien fait gagner puisque, pour supprimer la mauvaise
foi, elle a établi entre l'inconscient et la conscience une conscience autonome
et de mauvaise foi.
L’Être et le Néant
(1943), Tel, Gallimard, p. 88.
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