Tuesday, 8 September 2020

Merleau-Ponty : Le naturel et le culturel sont entremêlés en l'homme.

 


il n'y a pas chez l'homme de signes naturels (…) on ne pourrait parler de « signes naturels"  , que si , à des « états de conscience » donnés, l'organisation anatomique de notre corps faisait correspondre des gestes définis . Or en fait la mimique (1)  de la colère ou celle de l'amour n'est pas la même chez un japonais et chez un occidental, plus précisément, la différence des mimiques recouvre une différence des émotions elle-mêmes. Ce n'est pas seulement le geste qui est contingent à l'égard de l'organisation corporelle , c'est la manière même d'accueillir la situation et de la vivre . le japonais en colère sourit , l'occidental rougit et frappe du pied ou bien pâlit et parle d'une voix sifflante. il ne suffit pas que deux sujets conscients aient les mêmes organes et le même système nerveux pour que les mêmes émotions donnent chez tous deux les mêmes signes.  ce qui importe c'est la manière dont ils font usage de leur corps (…) et de leur monde dans l'émotion . L'équipement psychophysiologique (2) laisse ouvertes quantités de possibilités il n'y a pas plus ici que dans le domaine des instincts une nature humaine donnée une fois pour toutes . l'usage qu'un homme fera de son corps est transcendant à l'égard de ce corps comme être simplement biologique . il n'est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère où d'embrasser dans l'amour que d'appeler table une table . les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots . Même ceux qui , comme la paternité , paraissent inscrits dans le corps humain , sont en réalité des institutions . il est impossible de superposer chez l'homme une première couche de comportements que l'on appellerait « naturels » et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l'homme , comme on voudra dire , en ce sens qu’il n'est pas un mot , pas une conduite qui ne doive quelque chose à l'être simplement biologique - et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale , ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d'échappement et par un génie de l' équivoque qui pourrait servir à définir l'homme. . 

 

Maurice Merleau-Ponty , phénoménologie de la perception . 1945 .

 

(1)Mimique : expression du visage révélant une émotion.

 

(2) Psychophysiologique : qui relève à la fois du corps et de l'esprit.

Sartre : l'homme est libre de créer son existence

 

Ce que les gens veulent, c'est qu'on naisse lâche ou héros. Un des reproches qu'on fait le plus souvent aux « chemins de la liberté » (1) se formule ainsi : mais enfin, Ces gens qui sont si veules, comment en ferez-vous des héros ?  Cette objection prête plutôt à rire car elle suppose que les gens naissent héros , et au fond , c'est cela que les gens souhaitent penser : si vous naissez lâches, vous serez parfaitement tranquilles, vous n'y pouvez rien , Vous serez lâche toute votre vie quoi que vous fassiez ; si vous naissez héros , vous serez aussi parfaitement tranquilles, vous serez héros toute votre vie , vous boirez comme un héros , vous mangerez comme un héros. Ce que dit l’existentialiste, c'est que le lâche se fait lâche , que le héros se fait héros ; il y a toujours une possibilité pour le lâche de ne plus être lâche , et pour le héros de cesser d'être un héros . Ce qui compte, c'est l'engagement total , et ce n'est pas un cas particulier , une action particulière , qui vous engagent totalement .

(1) Trilogie écrite par Sartre entre 1945 et 1949 qui aborde la question de l'engagement politique .

Jean-Paul Sartre l'existentialisme est un humanisme 1946

Rousseau : la pitié, sentiment naturel en l'homme

 

La pitié est un sentiment naturel, qui, modérant dans chaque individu l'activité de l'amour de soi-même, concourt à la conservation mutuel de toute l’espèce. c'est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir; c'est elle qui , dans l'état de nature , tient lieu de lois, de mœurs et de vertu , avec cet avantage que nul n'est tenté de désobéir à sa douce voix ; et c'est elle qui détournera tout sauvage robuste d'enlever à un faible enfant ou un vieillard infirme sa subsistance acquise avec peine , si lui-même espère pouvoir trouver la sienne d'ailleurs ; c'est elle qui , au lieu de cette Maxime sublime justice raisonnée : fais à autrui comme tu veux qu'on te fasse , inspira tous les hommes cette autre Maxime de bonté naturelle bien moins parfaite , mais plus utile peut être que la précédente : fais ton bien avec le moindre mal d’ autrui qu'il est possible . C’est en un mot, dans  ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments subtils , qu'il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire , même indépendamment des maximes de l'éducation.

 

Jean-Jacques Rousseau , discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes . 1755 .