Situation
Sartre évoque la théorie de l’acte gratuit de Gide.
Dans les caves du Vatican, ouvrage fameux de Gide, vous avez un personnage Lafcadio, qui décide sans raison de tuer un vieux Monsieur en le jetant hors d’un train, sans motivation explicite, sans haine, sans pitié.
C’est un acte gratuit qui prouve son libre arbitre, puisqu’il choisit de faire quelque chose d’absurde, de tuer un vieux monsieur sans raison.
La réponse de Sartre, c’est que cette théorie n’est pas du tout sa théorie de la liberté.
( On remarquera qu'André Breton fait référence à ce type d'action libre lorsqu'il déclare que l'acte surréaliste par excellence serait de tirer un coup de pistolet dans la foule).
Pour Gide, la liberté pure peut donc me conduire à faire quelque chose d’absurde.
Pour Sartre, c’est l’inverse, la liberté donne un sens à mon existence.
Pourquoi ?
Ce n’est pas en effet parce que je suis libre que je peux faire n’importe quoi ! Bien au contraire.
( Je vous renvoie à la page 70 de l'ouvrage, Sartre y déclare qu'être libre ce n'est pas vouloir simplement 'sa" liberté, mais aussi vouloir celle des "autres", ce qui n'est évidemment pas le cas de Lafcadio, du surréaliste ou de ceux qui confondent égoisme et libre-arbitre ).
En agissant , même si je suis seul au moment du choix, j’engage toute l’humanité.
Ce qui signifie que mon acte libre a des répercussions sur tous les êtres libres ( qui peuvent à leur tour choisir de m’imiter ou non ). Donc l’acte libre n’est pas un caprice. Le caprice c’est l’acte de l’enfant qui ne pense pas aux conséquences de son geste ou de sa décision. Au contraire pour Sartre l homme libre est "responsable", il porte le poids de la conséquence de ses actes.
Explication :
Dans ce texte Sartre explique le rapport qui existe entre l'art et la morale.
Cette notion est importante car il s'adresse aux intellectuels, aux artistes et aux hommes de lettres. Certains d'entre eux ont lu "La nausée", mais ne saisissent pas très bien l'existentialisme comme "philosophie".
D'autre part on pourrait percevoir l'existentialisme comme un mouvement purement littéraire, comme un projet qui concerne exclusivement les "belles-lettres". Sartre insistera donc sur ces deux points que vous devez bien identifier et souligner dans votre explication:
1) La morale de Sartre n’est pas une morale esthétique.
Expliquons les termes tout d'abord :
La morale c’est la science du bien.
L’esthétique c’est la science du beau.
Refuser une "morale esthétique" qu’est ce que cela signifie ?
Il ne faut pas confondre le beau et le bien. Comme Malraux par exemple qui trouve que l’action héroïque est « belle » ou « grande ».
Pour Sartre ce qui importe ce n’est pas la beauté de l’acte , mais son coefficient de liberté.
Il ne s’agit pas de vivre comme un esthète ( car l’esthète qui transforme a vie en œuvre d’art pourrait transformer sa cellule en œuvre d’art, ou voir dans le spectacle de la pauvreté une œuvre d’art ).
Il s’agit plutôt de vivre comme un homme libre, adopter non pas une morale esthétique mais une morale existentialiste.
2) Toutefois, on peut comparer l’action bonne et de l’œuvre d’art.
Pour expliquer cela , Sartre prend l’exemple de l’artiste.
Pourquoi ? Quel rapport existe-t-il entre l’artiste et l’homme moral ?
Les deux hommes sont confrontés à l’idée de la liberté.:« Personne ne peut dire ce que sera la peinture de demain ».
Personne ne peut vous dire également ce qu’il faut faire.
CAD que Pour Sartre, on ne devient pas un artiste en appliquant des règles.
On devient un artiste en inventant et en créant, en produisant ses propres règles.
De la même manière on n’est pas un homme moral en suivant une morale a priori, déjà existante, mais en créant ses propres lois.
Sartre reprend ici l’idée de Kant qui oppose l’hétéronomie, le fait de se conformer à un modèle déjà existant, et l’autonomie, le fait d’inventer ses propres lois.
Afin d'illustrer cette comparaison , Sartre choisit deux exemples figurant la liberté de l'artiste et la liberté de choix de l'homme moral. Vous insisterez dans votre explication sur l'aspect pédagogique de cette conférence ( Sartre évite volontairement les formules abstraites de l’Être et le Néant , il limite le vocabulaire technique à l'essentiel ).
3) Exemples de Picasso et de l’élève
a) Picasso est justement le parangon de l'homme libre.
En effet dans les périodes qui précèdent 1904 , en gros la période bleue et la période rose. Picasso est encore sous l’influence du Greco et des maîtres de l;a peinture espagnole dans de nombreux tableaux.
Il a en quelque sorte un modèle a priori " dans la tête " et son idéal c est de coller à cette idée a priori.
Or après 1904, Picasso invente les règles du cubisme :
Avec G Braque, il invente une forme nouvelle de représentation du réel où celui-ci est peint sous forme de multitude de petits carrés ou figures angulaires , capables d'évoquer des objets tout en les déformant.
Picasso Les demoiselles d'Avignon |
« Il n’y a pas de valeurs esthétiques a priori » .
Quand Picasso crée les demoiselles d’Avignon en 1907, il invente la peinture, il ne reproduit pas un schème préexistant.
b) l’élève
De même il n’y a pas de valeur morale a priori. quand l’élève de Sartre choisit de s’engager dans l a résistance ou de rester auprès de sa mère , il invente un monde moral qui n’est pas donné d’avance, mais il crée la possibilité même de la morale.
Lorsque l’élève choisit sa mère ou la résistance, il n’est pas sujet à un caprice, il n’agit pas de manière irréfléchie et saugrenue.
Son choix témoignera d’un engagement responsable et assumé.
Dans ce sens une action morale est bien une œuvre comme quand l’on parle de l’œuvre d un artiste. D ailleurs en français on parle des « bonnes œuvres » ce qui signifie que la morale nous permet de créer et d’inventer des produits permettant de secourir autrui ou d’alléger les souffrances de l’humanité.
En morale comme en art , tout est affaire d'invention et de création.
Conclusion :
Toutefois se pose alors un problème : Si chacun invente sa loi, n’y a-t-il pas un risque d’aboutir à des morales divergentes ?
S’il y a une morale du pacifiste et une morale du belliciste, devons nous les accepter toutes les deux sous le prétexte qu elles ont été inventées ou revendiquées par quelqu’un ?
Le fait de vouloir et de s'engager dans un projet suffit-il à consacrer sa moralité ?
Si j’invente toutes les règles, alors est-ce que je ne tombe pas dans le relativisme moral ? Par exemple pourquoi n’y aurait –il pas une morale de l’existentialiste et une morale de la mauvaise foi ?
Il faudra cependant rappeler que Sartre insiste toujours sur l'idée de responsabilité.
Cette idée rétrécit le champ du possible: il s'agit non pas d'agir sans réfléchir, mais a contrario de poser de la manière la plus grave et la plus responsable la question de la liberté.
Car nous serons jugés par les autres qui eux aussi sont libres.
Il y a donc bien chez Sartre un tribunal, comme chez Kant.
Kant a inventé le tribunal de la raison où celle-ci se juge elle-même.
Chez Sartre, il existe un tribunal de la liberté : nous ne sommes pas dans le caprice de Gide mais dans la responsabilité, toujours jugée et évaluée par les autres libertés.