Mais, dans ces deux dernières tribus du nord-ouest américain et dans
toute cette région apparaît une forme typique certes, mais évoluée et
relativement rare, de ces prestations totales. Nous avons proposé de
l’appeler potlatch, comme font d’ailleurs les auteurs américains se
servant du nom chinook devenu partie du langage courant des Blancs et
des Indiens de Vancouver à l’Alaska. « Potlatch » veut dire
essentiellement « nourrir », « consommer ». Ces tribus, fort riches, qui
vivent dans les îles ou sur la côte ou entre les Rocheuses et la côte,
passent leur hiver dans une perpétuelle fête : banquets, foires et
marchés, qui sont en même temps l’assemblée solennelle de la tribu.
Celle-ci y est rangée suivant ses confréries hiérarchiques, ses sociétés
secrètes, souvent confondues avec les premières et avec les clans ; et
tout, clans, mariages, initiations, séances de shamanisme et du culte
des grands dieux, des totems ou des ancêtres collectifs ou individuels
du clan, tout se mêle en un inextricable lacis de rites, de prestations
juridiques et économiques, de fixations de rangs politiques dans la
société des hommes, dans la tribu et dans les confédérations de tribus
et même internationalement. Mais ce qui est remarquable dans ces tribus,
c’est le principe de la rivalité et de l’antagonisme qui domine toutes
ces pratiques. On y va jusqu’à la bataille, jusqu’à la mise à mort des
chefs et nobles qui s’affrontent ainsi. On y va d’autre part jusqu’à la
destruction purement somptuaire des richesses accumulées pour éclipser
le chef rival en même temps qu’associé (d’ordinaire grand-père,
beau-père ou gendre). Il y a prestation totale en ce sens que c’est bien
tout le clan qui contracte pour tous, pour tout ce qu’il possède et
pour tout ce qu’il fait, par l’intermédiaire de son chef. Mais cette
prestation revêt de la part du chef une allure agonistique très marquée.
Marcel Mauss, Essai sur le don, © PUF, coll. « Quadrige », 10e éd., 2001, p. 269-270.
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