I)
L'AGONIE
Souvent
des êtres, surpris par un accident subit, suffoqués brusquement par l’eau, et
en danger de mort, ont vu s’allumer dans leur cerveau tout le théâtre de leur
vie passée. Le temps a été annihilé, et quelques secondes ont suffi à contenir
une quantité de sentiments et d’images équivalente à des années. Et ce qu’il y
a de plus singulier dans cette expérience, que le hasard a amenée plus d’une
fois, ce n’est pas la simultanéité de tant d’éléments qui furent successifs,
c’est la réapparition de tout ce que l’être lui-même ne connaissait plus, mais
qu’il est cependant forcé de reconnaître comme lui étant propre. L’oubli n’est
donc que momentané ; et dans telles circonstances solennelles, dans la mort
peut-être, et généralement dans les excitations intenses créées par l’opium,
tout l’immense et compliqué palimpseste de la mémoire se déroule d’un seul
coup, avec toutes ses couches superposées de sentiments défunts,
mystérieusement embaumés dans ce que nous appelons l’oubli.
Baudelaire, Visions d’Oxford, Les paradis artificiels.
II) L'ANGOISSE
Trois mille six cents fois par
heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Baudelaire, L’Horloge. Les fleurs du Mal.
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