Tuesday, 8 September 2020

Rousseau : la pitié, sentiment naturel en l'homme

 

La pitié est un sentiment naturel, qui, modérant dans chaque individu l'activité de l'amour de soi-même, concourt à la conservation mutuel de toute l’espèce. c'est elle qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir; c'est elle qui , dans l'état de nature , tient lieu de lois, de mœurs et de vertu , avec cet avantage que nul n'est tenté de désobéir à sa douce voix ; et c'est elle qui détournera tout sauvage robuste d'enlever à un faible enfant ou un vieillard infirme sa subsistance acquise avec peine , si lui-même espère pouvoir trouver la sienne d'ailleurs ; c'est elle qui , au lieu de cette Maxime sublime justice raisonnée : fais à autrui comme tu veux qu'on te fasse , inspira tous les hommes cette autre Maxime de bonté naturelle bien moins parfaite , mais plus utile peut être que la précédente : fais ton bien avec le moindre mal d’ autrui qu'il est possible . C’est en un mot, dans  ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments subtils , qu'il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire , même indépendamment des maximes de l'éducation.

 

Jean-Jacques Rousseau , discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes . 1755 .

Bergson : l'être vivant tend à choisir

 

Si nous considérons de ce biais la vie à son entrée dans le monde, nous la voyons apporter avec elle quelque chose qui tranche sur la matière brute. Le monde, laissé à lui-même, obéit à des lois fatales. Dans les conditions déterminées, la matière se comporte de façon déterminée, rien de ce qu'elle fait n'est imprévisible : si notre science était complète et notre puissance de calculer infinie, nous saurions par avance tout ce qui se passera dans l'univers matériel inorganisé, dans sa masse et dans ses éléments, comme nous prévoyons une éclipse de soleil ou de lune. Bref, la matière est inertie, géométrie, nécessité. Mais avec la vie apparaît le mouvement imprévisible et libre. L’être vivant choisit ou tend à choisir.  Son rôle est de créer. Dans un monde où tout le reste est déterminé, une zone d’indétermination l'environne.

Henri Bergson, l'énergie spirituelle, chapitre un,  la conscience et la vie, 1911, édition PUF

Sunday, 6 September 2020

Lucrèce : La nature ne résulte pas d'une providence mais des mouvements aléatoires de la matière

 


Ce n'est pas en vertu d'un plan arrêté d'un esprit clairvoyant que les atomes sont venus se ranger chacun à leur place ; assurément ils n'ont pas combiné entre eux leurs mouvements respectifs ; mais après avoir subi mille changements de mille sortes à travers le tout immense , heurtés, déplacés de toute éternité par des chocs sans fin , À force d’ essayer des mouvements et des combinaisons de tout genre ils en arrivent enfin à des arrangements tels que ceux qui ont créé et constituent notre univers ; Et c’est en vertu de cet ordre , maintenu à son tour durant de longues et nombreuses années, une fois qu'il eut abouti aux mouvements convenables,  que nous voyons les fleuves au large cours maintenir par l'apport de leurs eaux l'intégrité de la mer insatiable , la terre échauffée par les feux du soleil renouveler ses productions , les générations des êtres animés , naître et fleurir tour à tour , et les feux errants de l’éther continuer de vivre ; toutes  choses qui ne pourraient avoir lieu , si l'infini nous fournissait sans cesse la quantité de matière pour réparer à temps toutes les pertes . De même que , privés de nourriture , les animaux fondent et s’amaigrissent, ainsi toutes choses doivent se dissoudre dès que la matière vient à leur faire défaut pour quelque cause qui la détourne de sa voie.

 
Lucrèce de la nature des choses livre I 1021 à 1041 , les belles lettres