Par une nécessité invincible, l’esprit humain peut observer directement
tous les phénomènes, excepté les siens propres. Car, par qui serait
faite l’observation ? On conçoit, relativement aux phénomènes moraux,
que l’homme puisse s'observer lui-même sous le rapport des passions qui
l’animent, par cette raison, anatomique, que les organes qui en sont le
siège sont distincts de ceux destinés aux fonctions observatrices.
Encore même que chacun ait eu occasion de faire sur lui de telles
remarques, elles ne sauraient évidemment avoir jamais une grande
importance scientifique, et le meilleur moyen de connaître les passions
sera-t-il toujours de les observer en dehors ; car tout état de passion
très prononcé, c’est-à-dire précisément celui qui serait le plus
essentiel d’examiner, est nécessairement incompatible avec l’état
d’observation. Mais, quant à observer de la même manière les phénomènes
intellectuels pendant qu’ils s’exécutent, il y a impossibilité
manifeste. L’individu pensant ne saurait se partager en deux, dont l’un
raisonnerait, tandis que l’autre regarderait raisonner. L’organe observé
et l’organe observateur étant, dans ce cas, identiques, comment
l’observation pourrait-elle avoir lieu ?
Cette prétendue méthode psychologique est donc radicalement nulle dans
son principe. Aussi, considérons à quels procédés profondément
contradictoires elle conduit immédiatement ! D’un côté, on vous
recommande de vous isoler, autant que possible, de toute sensation
extérieure, il faut surtout vous interdire tout travail intellectuel ;
car, si vous étiez seulement occupés à faire le calcul le plus simple,
que deviendrait l’observation intérieure ? D’un autre côté, après avoir,
enfin à force de précautions, atteint cet état parfait de sommeil
intellectuel, vous devez vous occuper à contempler les opérations qui
s’exécuteront dans votre esprit lorsqu’il ne s’y passera plus rien ! Nos
descendants verront sans doute de telles prétentions transportées un
jour sur la scène.
Extrait de Cours de philosophie positive - Auguste Comte
Les écrivains comme les philosophes doivent se poser la question de
l’écriture de soi : il arrive qu’au-delà des phénomènes extérieurs,
l’homme de lettres, le moraliste ou le psychologue soient tentés par
l’observation des phénomènes internes, de ce que l’on nomme des « états
d’âme ». Mais tout cela ne va pas sans difficultés et Stendhal, amateur
du Journal intime, posait déjà la question cruciale : « comment rendre
compte des mouvements intérieurs de l’âme ? »
Dans ce passage tiré du
Cours de philosophie positive, Auguste Comte pose une question similaire
et applique les principes de la philosophie positive à l’analyse de
l’introspection. Sa thèse est claire, même tranchante : l’idée même de
l’introspection est une pure contradiction (« Par une
nécessité…observation ? »). Afin de défendre son argument, il va
procéder à l’analyse successive de ce que nous trouvons en nous-mêmes à
savoir deux facultés qui sont le désir et la raison, les passions et
l’intellect. L’examen des passions, prima facie, ne présente selon lui
qu’un intérêt scientifique très limité (« On conçoit …observation »).
Dans un deuxième temps, il s’intéresse à l’examen des « phénomènes
intellectuels » et conclut à la stricte impossibilité de cette
observation (« Mais, quant à observer…lieu ? »). Enfin le dernier
paragraphe du texte revient sur le statut de « cette prétendue méthode
psychologique « et considère que l’observation de soi ne peut que vider
la pensée de tout contenu ». Peut-on aller jusqu’à dire comme le fait
ici Auguste Comte que la méthode introspective ne présente aucune valeur
scientifique ? Faut-il rejeter définitivement le « connais-toi toi-même
» socratique hors des limites de la pensée rationnelle et rigoureuse ?
L’observation de soi n’est-elle qu’un projet vide de sens et dénué de
tout fondement ? La logique positiviste qui sous-tend toute cette
argumentation n’est-elle pas elle-même source de nombreux présupposés et
préjugés sur le travail de l’intellect ?
L’idée
principale du texte est exposée dès l’incipit: « Par une nécessité
invincible, l’esprit humain peut observer directement tous les
phénomènes, excepté les siens propres ». Dans cette affirmation se
trouvent deux idées qui sont présentées sous la forme de l’évidence : la
première postule que l’esprit peut observer tous les phénomènes. Ceci
semble en effet attesté par la démarche expérimentale : cette dernière
considère que tout fait empirique, capable d’observation devient un «
phénomène » dans la mesure où il existe une loi susceptible d’en rendre
compte. Comme le dit l’étymologie, le « phainomenon » est cela même qui
apparait (« phainen »), qui se dévoile à nous dans l’observation du
monde sensible. Le phénomène s’oppose donc à deux notions : à la
différence du simple « fait », le phénomène suppose toujours une théorie
pouvant en rendre compte, il n’est pas non plus une « chose » qui elle
demeure indéterminée (on sait à quoi on a affaire dans le phénomène, par
contre le contenu véritable de la réalité de la chose peut nous
échapper). Ainsi la science peut observer « tous » les phénomènes : cela
ne signifie pas qu’elle connaisse la nature exacte de tout ce qui est,
mais la totalité du réel peut devenir en droit, pour l’esprit savant, matière à observation. La
seconde évidence comtienne repose sur l’impossibilité d’observer ses propres
phénomènes internes. Car il y a dans l’esprit d’Auguste Comte comme un
oxymoron dans l’expression « phénomène interne ou intérieur ». En effet
le phénomène c’est bien ce qui se dévoile à moi, ce qui fait face à
l’esprit attentif. Il y aurait donc une forme d’extériorité obligatoire
dans toute expérience ou observation d’un phénomène. D’où la question
obsédante du philosophe: « par qui sera faite l’observation » ?
Si le
phénomène se présente toujours comme ce qui est « devant » l'observateur, ce qui
se dévoile dans une certaine distance, comment l’observation de soi
pourrait-elle avoir lieu puisqu’elle supprime toute forme de distance ou
de recul ? C’est donc au nom de la logique et plus exactement du
principe de non-contradiction que l’introspection sera examinée : parce
que l’observation par définition crée des « phénomènes » (des faits
observables pour une théorie) et parce que le phénomène est «
nécessairement » extérieur à moi, l’observation de soi devient une
formule purement contradictoire. On ne saurait à la fois être sujet de
l’observation et objet observé. Que signifie donc s’observer
soi-même ? Pour le savoir, il faut s’intéresser au contenu de nos
pensées et de nos représentations. Que trouvons-nous en nous-mêmes qui
pourrait se livrer à une observation possible ? Le désir et la raison.
Si comme le prétendait Descartes « par le mot de pensée, j’entends tout
ce que j’aperçois immédiatement en moi-même », on peut séparer
l’observation intérieure en deux domaines : l’observation des «
phénomènes moraux » qui concernent tout ce qui aurait un rapport avec le
désir, la passion et la volonté. Mais également l’observation des «
phénomènes intellectuels », qui elle s’occuperait exclusivement des
opérations logiques de plus haut niveau, des saisies réflexives et plus
abstraites de nos opérations mentales. C’est cette distinction, somme
toute assez classique qui va guider l’analyse de Comte. S’observer c’est
essentiellement observer le fonctionnement des passions et l’exercice
de la raison. On pourrait bien sûr se demander s’il n’y a pas d’autres
facultés de l’esprit qui sont négligées, comme la sensation ou
l’imagination, l’observation de la rêverie ou de la vision qui ne relevent
visiblement pas des domaines ici envisagés par Auguste Comte. Il n’en
reste pas moins que l’observation des désirs et du raisonnement ont été
des sujets privilégiés d’étude pour la philosophie morale et pour
l’épistémologie (philosophie des sciences). Les questions posées par le
texte ont donc un intérêt théorique certain.
Dans le
domaine de la moralité, la première remarque de Comte semble s’en
prendre au principe qu’il a lui-même préalablement posé : l’homme
prétend-il peut en effet « s’observer lui-même sous le rapport des
passions qui l’animent. ». N’est-ce pas ici contredire le propos
précèdent, puisqu’était affirmé quelques lignes auparavant le précepte
de l’impossibilité de l’observation de soi ? Il faut ici rappeler qu’au
dix-neuvième siècle les progrès de la médecine et les théories du
médecin allemand Gall incitent à penser que chaque opération mentale a
sa source dans le fonctionnement d’un organe distinct ou d’une partie
distincte du cerveau. Ainsi le siège des émotions ne se trouverait pas
situé au même endroit que le siège de la réflexion ou celui de la
métaphysique. C’est donc en fonction d’une différence « physique » ou «anatomique» que
l’observation morale est rendue possible. Les organes des passions «
sont distincts de ceux destinés aux fonctions observatrices ». Quand
bien même la science sur laquelle s’appuie Auguste Comte (fortement
influencée par la phrénologie de Gall et par les discussions médicales de l'époque sur les localisations cérébrales) serait considérée aujourd’hui
comme fantaisiste, il n’en reste pas moins qu’elle a selon lui le mérite
d’expliquer la possibilité de l’observation morale par « l’anatomie ».
Si le cerveau est différent du cœur, ou si à l’intérieur du cerveau des
parties distinctes entrent en jeu comme dans une mécanique où chaque
centre commande une opération distincte, alors l’analyse morale de soi
par soi est rendue possible. Et Comte de citer l’expérience commune
comme preuve de cette possibilité. Chacun a pu faire l’expérience d’un
compte-rendu littéral des passions qui nous habitent : chacun a
l’occasion dit-il de « faire de telles remarques ». La tenue d’un simple
journal intime ou l'existence même du récit autobiographique
témoignent de cette tentative toujours renouvelée de connaissance de
soi. Toutefois il faut admettre que la possibilité d’un tel récit de soi
ne signifie en rien qu’il représente un intérêt quelconque pour la
science. Ces remarques « ne sauraient évidemment avoir jamais une grande
importance scientifique ». Qu’est-ce à dire ? Et en quoi peut-on
parler d’évidence ?
Avouons qu’Auguste Comte est plutôt laconique sur ce
point. En effet au nom de quoi juger que les millions de pages
présentes dans la littérature universelle consacrées au simple « récit
de soi » sont sans grande importance pour la science ? N’est-ce pas
d’ailleurs croire que cette même science est nécessairement juge de la
valeur des choses ? N’est-ce pas ici une des limites du positivisme qui
parfois se rapproche du scientisme (doctrine considérant que l’unique
valeur possible est celle reconnue par la science) ? On peut cependant
conjecturer qu’Auguste Comte vise ici la singularité des récits
autobiographiques. Chaque restitution de sa propre existence est fondée
sur une démarche singulière, individuelle. Or la science comme le
répète Aristote repose sur le général. Il n’y a de science que du
général. Comment à partir des Confessions de Rousseau, du Journal
d’Amiel ou de la vie d’Henry Brulard tirer un enseignement « général »
susceptible d’intéresser la science ? Voilà la « limite » de
l’observation morale dénoncée dans notre texte : on peut certes parler
de soi, mais parler de soi n’est pas atteindre le niveau d’universalité
exigée par la science. Parler de soi c’est en rester à l’analyse de ce
qui est singulier en nous. C’est sans doute la raison pourquoi Comte ne
semble attacher que peu d’intérêt à ces formes de littérature centrées
sur le Moi. Le discours sur soi est une entreprise littéraire, mais la
science elle se propose de parler de « nous ». Sans cette exigence
d’universalité, tout intérêt scientifique semble s’évanouir.
Il existe
un autre reproche que Comte adresse à la réflexion morale c’est
l’impossibilité de s’observer au cœur de la passion et des « tempêtes
de l’âme » : « tout état de passion très prononcée…est nécessairement
incompatible avec l’état d’observation ». Qu’est-ce qui fonde donc cette
incompatibilité ? Deux choses sont dites incompatibles lorsqu’elles
ne peuvent exister dans un même temps ou partager un même espace. En
quoi passion et observation sont–elles pensées comme inconciliables ? Ce qui définit
le mouvement passionnel c’est l’intérêt poussé au plus haut point. Le passionné est
l’homme qui attache un intérêt exclusif à l'objet de sa passion, qui forme pour lui
une idée fixe et occupe la totalité de son esprit. A l’inverse
l’attitude d’observation préconisée par la science suppose un
comportement désintéressé, une forme de détachement systématique et méthodique qui va permettre
l’analyse détaillée et sérieuse. Comment donc observer une passion
violente puisqu’elle semble interdire de facto l’étude scientifique
désintéressée ? Comment être intéressé (passionné) et désintéressé
(observateur) dans un même temps ? Et c’est pourtant dans l’examen de
ses formes extrêmes que la passion peut nous révéler sa propre nature
: alors que cet état de paroxysme serait « essentiel » à l’analyse, il l’interdit
aussitôt car il n’est pas compatible avec l’observation sereine des
phénomènes, c’est-à-dire avec l’ethos de la démarche scientifique.
Qu’en conclure sinon que l’observation morale, si importante dans la
littérature universelle ne peut véritablement intéresser la science,
mais à la rigueur les poètes ?
Il y a cependant plus
grave. Car si la science et la littérature peuvent coexister, il ne
saurait être question d’établir une recherche fondée sur une «
impossibilité manifeste». Si l’observation morale est possible mais
inintéressante car vague et approximative, l’observation intellectuelle
de soi nous plonge dans une contradiction si forte qu’elle en devient
absurde :« quant à observer de la même manière les phénomènes
intellectuels pendant qu’ils s’exécutent, il y a impossibilité manifeste
». Qu’est-ce donc que cette observation intellectuelle et en quoi
diffère-t-elle de l’observation morale ? Dans la passion, l’esprit est
livré au désir dans ses différentes manifestations, par contre il est
ici question d’un autre domaine : de l’activité de la raison pure, d’une
raison qui serait dégagée de tout affect, de l’emprise de toute
émotion. Même si Comte n’illustre pas ici les activités en question, on
peut les deviner grâce au verbe qu’il emploie : « raisonner ».
L’observation intellectuelle de soi consiste à s’observer alors que nous
sommes en train de raisonner, d'effectuer des calculs mathématiques ou
des inférences logiques. On peut penser ici à un mathématicien, plongé
dans le détail d’une preuve, qui essaierait de s’observer alors qu’il
est « en train » de réaliser cette opération mentale. Ou alors à un
joueur d’échecs qui en même temps qu’il est en train de jouer,
analyserait les différentes stratégies auxquelles il pense
successivement pendant qu’elles sont en train de naitre dans son
intelligence. Ces situations ne peuvent être que fictives pour Auguste
Comte, car elles concernent le « même » organe : « L’organe observé et
l’organe observateur étant dans ce cas identiques, comment l’observation
pourrait-elle avoir lieu ? » Encore une fois, l’argumentation repose
sur une impossibilité anatomique, physiologique qui produit une
contradiction logique : un même organe ne peut accomplir deux taches
à
la fois, et l’observation de soi suppose un dédoublement qui ne peut
avoir lieu : on ne peut penser et penser que l’on pense, raisonner et
s’observer raisonnant, calculer et s’épier calculant.
Quelle
est donc la conclusion à laquelle aboutit le texte ? Il s’agit de
revenir sur cette « méthode psychologique » de l’introspection. Elle
ne saurait avoir la moindre valeur, « elle est donc radicalement nulle
dans son principe ». On ne saurait être plus sévère a l’égard de
certaines facettes de la psychologie du dix-neuvième siècle. En effet
pour que cette méthode eût une valeur quelconque, il faudrait plonger
son esprit dans un « sommeil intellectuel », c’est-à-dire réduire à
néant toute activité mentale afin de pouvoir consacrer ses forces
à l’observation. Or observer un néant d’activité conduit à une
non-observation. L’examen du vide de l’esprit ne peut être qu’une
opération futile puisqu’il ne « s’y passera plus rien ». . On ne peut à
la lecture de ces lignes que penser à un mot : le « nihilisme » la
doctrine du rien (nihil) ou du vide, qui poussée a l’extrême peut
conduire au désespoir ou à des effets comiques (ce que un siècle plus
tard le théâtre de l’absurde mettra en scène). Il est bon de noter que
la dernière phrase du texte dans une ironie mordante annonce et
préfigure ces « prétentions transportées un jour sur la scène ». Les contradictions exacerbées des faux-savants ne sont pas sans produire un effet
comique et Comte est persuadé que les dramaturges futurs s’empareront
du sujet de l’introspection et moqueront les procédés de cette
fausse science comme Molière avait ridiculisé la médecine de son temps.
Mais peut-on suivre Auguste Comte dans sa caractérisation si
impitoyable de l’examen de soi ? A adopter son analyse et les adjectifs
qui témoignent de la nature de cette introspection (« nulle », «
impossible », « contradictoire », « prétentieuse »), rien ne saurait
sauver l'idée même de cette pratique si ancienne, puisqu’elle a
pour origine le « connais-toi toi-même » de Socrate.
Cette entreprise
est-elle aussi futile que le père du positivisme le prétend ? Si nous
écoutons l’un des adeptes de cette méthode, Saint Augustin, qui eut le mérite de
réfléchir toute sa vie au sens de l’injonction socratique, on s’aperçoit
qu’une autre réponse est possible. En effet, loin de rejeter
l’introspection, Saint Augustin va en faire un principe de l’activité
philosophique et de la démarche d'introspection chrétienne. Non seulement il ne faut pas
railler, dit-il, ceux qui méditent, ceux qui s’analysent eux-mêmes, mais c’est
même un devoir pour un chrétien et pour tout homme que de « rentrer en
lui-même ». Savoir se retirer hors des sens et pratiquer cet exercice
de recueillement intérieur est une exigence vitale, car sans cette
connaissance de soi, aucun horizon moral ne peut se dessiner. Mais Saint
Augustin était-il conscient des difficultés théoriques mises en lumière
par notre texte ? Ne tombe-t-il pas dans ce tissu d’absurdités dénoncées
par les positivistes ? Il y a dans l'entreprise philosophique antique une
confiance dans le pouvoir de l’intellect qui tient au fait suivant :
alors que pour Saint Augustin les sens sont incapable de se connaitre et
que par l’exemple l’œil est incapable de se voir lui-même (s’il n’est
pas face à un miroir), l’intelligence elle est capable de se connaitre
elle-même et de s'auto-analyser. L’idée donc d’un récit de soi n’est donc pas nécessairement
et foncièrement absurde. C’est ainsi que l’écriture des « Confessions »,
toute entière fondée sur l’introspection peut présenter selon lui une valeur
certaine. Et comment Saint Augustin évite-t-il les pièges logiques de
l’examen de conscience ? Comment peut-il s’observer lui-même et être «
la matière de son livre » ? Tout simplement en écrivant non pas sur ce
qu’il est, mais sur ce qu’il a été. En ce sens le récit de soi au passé
semble autoriser une saisie réflexive puisque le Moi qui observe est
bien un Moi distinct du Moi observé, le Moi présent, qui rédige les
Confessions n’est pas le même que le Moi passé, et la contradiction vue
par Auguste Comte semble dès lors disparaitre. Le récit rétrospectif permet assurément de
distinguer le sujet de l’objet.
L’intérêt philosophique
de ce passage est donc double : Auguste Comte établit ici un véritable
credo positiviste, montrant que seule la science véritable, « positive »,
s’intéresse aux phénomènes et est capable d'en extraire des lois , et que c’est cette même science rationnelle
qui doit s’établir juge des prétentions des autres disciplines morales
et intellectuelles. En outre notre texte insiste sur l’impossibilité
d’une psychologie fondée sur la seule introspection. L'alliance de la physiologie et de la psychologie semble être l'unique et nécessaire solution aux yeux d'Auguste Comte. Mais l’examen de soi conduit-il nécessairement à une forme
d’irrationalité ? C’est une question que se posera également Sigmund
Freud dans l’entreprise psychanalytique. Mais la réponse freudienne sera pas aussi catégorique que celle apportée ici par Auguste Comte.
Même si la conscience de soi ne peut nous apporter toute la lumière sur
ce que nous sommes, ne faut-il pas cependant se livrer à l’examen
de ses propres rêves, de ses oublis. de sa vie quotidienne ? Vouloir refuser tout crédit à
l’auto-analyse n’est-ce pas gommer toute une dimension de la raison réflexive et
de la découverte méthodique de soi ?