Monday, 6 October 2014

Discours d'Aristophane

Le Banquet de Platon, extraits du discours d'Aristophane

L’humanité primitive



« Or, ce qu’il vous faut commencer par apprendre, c’est quelle est la nature de l’homme et quelle en a été l’évolution ; car autrefois notre nature n’était pas celle que précisément elle est aujourd’hui, mais d’une autre sorte. Premièrement, l’espèce humaine comportait en effet trois genres ; non pas deux comme à présent, mais, en outre du mâle et femelle, il y en avait un troisième, qui participait de ces deux autres ensemble, et dont le nom subsiste de nos jours, bien qu’on ne voie plus la chose elle-même : il existait alors en effet un genre distinct androgyne, qui, pour la forme comme pour le nom, participait des deux autres ensemble, du mâle comme de la femelle ; ce qui en reste à présent, ce n’est qu’une dénomination, tenue pour infamante. Deuxièmement, chacun de ces hommes était, quant à sa forme, une boule d’une seule pièce, avec un dos et des flancs en cercle ; il avait quatre mains et des jambes en nombre égal à celui des mains ; puis, sur un cou tout rond, deux visages absolument pareils entre eux, mais une tête unique pour l’ensemble de ces deux visages, opposés l’un à l’autre ; quatre oreilles ; parties honteuses en double ; et tout le reste comme cet aperçu permet de le conjecturer ! Quant à la démarche de cet être, elle pouvait se faire comme maintenant en droite ligne dans telle direction qu’il souhaitait ; ou bien, quand il entreprenait de courir vite, c’était à la façon d’une culbute et comme quand, en faisant la roue, on se remet d’aplomb dans la culbute par une révolution des jambes : en s’appuyant sur les huit membres qu’il possédait alors, l’homme avançait vite, à faire ainsi la roue ! [...] Leur force et leur vigueur étaient d’ailleurs extraordinaires, et grand leur orgueil. Or, ce fut aux dieux qu’ils s’attaquèrent, et ce que rapporte Homère d’Éphialte et d’Otos, auxquels il fait entreprendre l’escalade du ciel, a rapport à ces hommes-là et à leur intention de s’en prendre aux Dieux.



Origine de l’humanité actuelle.



« Sur ces entrefaites, Zeus et les autres Dieux délibéraient de ce qu’il leur fallait faire, et ils en étaient fort en peine : pour eux il n’y avait moyen en effet, ni de faire périr les hommes et d’en anéantir l’espèce comme ils avaient fait des Géants, en les foudroyant ; car c’eût été l’anéantissement, pour eux-mêmes, des honneurs et des offrandes qui leur viennent des hommes ; ni de leur permettre cette attitude impudente : « Je crois bien, dit enfin Zeus après s’être bien fatigué à y réfléchir, que je tiens un moyen de faire, à la fois qu’il y ait des hommes et que, étant devenus plus faibles, ils mettent un terme à leur insolence. À cette heure en effet, poursuivit-il, je m’en vais sectionner chacun en deux, et, en même temps qu’ils seront plus faibles, en même temps ils seront pour nous d’un meilleur rapport, du fait que le nombre en aura augmenté. En outre, ils marcheront sur leurs deux jambes, en se tenant droit. Mais si à notre jugement, leur impudence continue et qu’ils ne veuillent pas se tenir tranquilles, alors, conclut-il, à nouveau je les couperai encore en deux, de façon à les faire déambuler sur une seule jambe, à cloche-pied...




Condition désirante de l'homme

 Or, quand le corps eut été ainsi divisé, chacun, regrettant sa moitié, allait à elle ; et s'embrassant et s'enlaçant les uns les autres avec le désir de se fondre ensemble [...]

C'est de ce moment que date l'amour inné des êtres humains les uns pour les autres : l'amour recompose l'ancienne nature, s'efforce de fondre deux êtres en un seul, et de guérir la nature humaine. [...] Notre espèce ne saurait être heureuse qu'à une condition, c'est de réaliser son désir amoureux, de rencontrer chacun l'être qui est notre moitié, et de revenir ainsi à notre nature première. »



  1950.

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