Ce fut comme une apparition : Elle était assise, au milieu du banc,
toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans
l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il
passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ;
et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda. Elle
avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient
au vent derrière elle. Ses bandeaux noirs, contournant la pointe de ses
grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser
amoureusement l'ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire,
tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en
train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa
personne se découpait sur le fond de l'air bleu. Comme elle gardait la
même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour
dissimuler
sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre
le banc, et il affectait d'observer une chaloupe sur la rivière.
Jamais il n'avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de
sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il
considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose
extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ?
Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes
qu'elle avait portées, les gens qu'elle fréquentait ; et le désir de la
possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde,
dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limites.
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