"Que le temps implique la succession, je n'en disconviens
pas. Mais que la succession se présente d'abord à notre conscience comme
la distinction d'un "avant" et d'un "après" juxtaposés, c'est ce que je
ne saurais accorder. Quand nous écoutons une mélodie, nous avons la
plus pure impression de succession que nous puissions avoir - une
impression aussi éloignée que possible de celle de la simultanéité - et
pourtant c'est la continuité même de la mélodie et l'impossibilité de la
décomposer qui font sur nous cette impression. Si nous la découpons en
notes distinctes, en autant d'"avant" et d'"après" qu'il nous plaît,
c'est que nous y mêlons des images spatiales et que nous imprégnons la
succession de simultanéité: dans l'espace et dans l'espace seulement, il
y a distinction nette de parties extérieures les unes aux autres. Je
reconnais d'ailleurs que c'est dans le temps spatialisé que nous nous
plaçons d'ordinaire, Nous n'avons aucun intérêt à écouter le
bourdonnement de la vie profonde. Et pourtant la durée réelle est là".
BERGSON La pensée et le mouvant, La perception du changement.
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