Thursday, 11 December 2014
Heidegger : Comme si le « on » pouvait mourir…
La vie publique où prend place l’être-en-compagnie quotidien connaît la mort comme une rencontre qui se produit constamment, comme « cas de mort ». Un tel, qu’il soit proche ou lointain, « meurt ». Des inconnus « meurent » chaque jour à chaque heure. « La mort » se rencontre comme un événement bien connu qui se produit dans le monde. En tant que telle, elle se maintient dans l’insurprenance qui caractérise ce qui se rencontre quotidiennement. Le on s’est déjà assuré aussi pour cet événement d’une explication. Les propos tenus à son sujet, qu’ils soient clairement exprimés ou le plus souvent restreints à de « fugitives » allusions, reviennent à dire : on finit bien un jour par mourir mais pour le moment nous-on demeure à l’abri.
L’analyse du mot « on meurt » révèle sans équivoque le genre d’être de l’être quotidien vers la mort. Celle-ci est entendue dans des propos de ce genre comme quelque chose de vague qui doit avant tout débarquer de quelque part mais dans l’immédiat n’est pas encore là-devant pour un individu donné et n’a donc rien de menaçant. Le « on meurt » répand l’opinion que la mort frappe, si l’on peut dire, le on. L’explication publique du Dasein dit : « on meurt » parce que tout un chacun et nous-on peut s’en convaincre : ce n’est chaque fois justement pas moi ; car ce on n’est Personne. Le « trépas » est ramené au niveau d’un événement qui frappe sans doute le Dasein mais ne concerne spécialement personne.
S’il est un cas où l’équivoque est consubstantielle au on-dit, c’est bien dans cette façon de parler de la mort. Le trépas qui, sans délégation possible, est essentiellement à moi, est reconverti en un événement se produisant publiquement qui rencontre le on. La façon d’en parler qui a ce caractère parle de la mort comme d’un « cas » se produisant constamment. Elle le fait passer pour quelque chose de toujours déjà « réel » et en voile le caractère de possibilité ; elle voile donc par là même les moments qui en font partie et la rendent sans relation et indépassable. Grâce à ce genre d’équivoque, le Dasein s’expose à se perdre dans le on par rapport à un pouvoir-être insigne appartenant au soi-même le plus propre. Le on donne le droit de se dissimuler l’être vers la mort en ce qu’il a de plus propre ; et il augmente la tentation de se le dissimuler.
Heidegger, Etre et temps, Paris, Gallimard, 1986, pp 307-308.
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