« D'ailleurs il y a mille marques qui font juger qu'il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c'est-à-dire des changements dans l'âme même dont nous ne nous apercevons pas,
parce que les impressions sont trop petites et en trop grand nombre ou
trop unies., en sorte qu'elle n'ont rien d'assez distinguant à part,
mais jointes à d'autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de
se faire sentir au moins confusément dans l'assemblage.(...) Et pour
juger encore mieux des petites perceptions que nous ne saurions
distinguer dans la foule, j'ai coutume de me servir de l'exemple du
mugissement ou du bruit de la mer
dont on est frappé quand on est sur le rivage. Pour entendre ce bruit
comme l'on fait, il faut bien que l'on entende les parties qui composent
ce tout, c'est-à-dire les bruits de chaque vague, quoique chacun de ces
petits bruits ne se fasse connaître que dans l'assemblage confus de
tous les autres ensemble, c'est-à-dire dans ce mugissement même, et ne
se remarquerait pas si cette
vague qui le fait était seule. Car il faut qu'on en soit affecté un peu
par le mouvement de cette vague et qu'on ait quelque perception de
chacun de ces bruits, quelques petits qu'ils soient ; autrement on
n'aurait pas celle de cent mille vagues car cent mille rien ne saurait
faire quelque chose. (...)
Ces petites perceptions sont donc de plus grande efficace par leur suite qu'on ne pense. Ce sont elles qui forment ce je ne sais quoi,
ces goûts, ces images, ces qualités des sens, claires dans
l'assemblage, mais confuses dans les parties, ces impressions que des
corps environnants font sur nous, qui enveloppent l'infini, cette
liaison que chaque être a avec tout le reste de l'univers. On peut même
dire qu'en conséquence de ces petites perceptions, le présent est gros
de l'avenir et chargé du passé, que tout est conspirant et que dans la
moindre des substances, des yeux aussi perçants que ceux de Dieu
pourraient lire toute la suite des choses de l'univers. Quae sint, quae fuerint, quae mox futura trahantur.("qui sont, qui ont été, et qui surviendront dans l'avenir,", Virgile)».
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