Saturday, 4 April 2015

Kant : l'homme est caractérisé par une "insociable sociabilité"

J'entends ici par antagonisme l'insociable sociabilité des hommes,
c'est-à-dire leur penchant à entrer en société, penchant lié toutefois à une
répulsion générale à le faire, qui menace constamment de dissoudre cette
société. Une telle disposition est très manifeste dans la nature humaine.
L'homme possède une inclination à s'associer parce que, dans un tel état, il se
sent davantage homme, c'est-à-dire qu'il sent le développement de ses
dispositions naturelles. Mais il a aussi un grand penchant à se séparer
(s'isoler) : en effet il trouve en même temps en lui ce caractère insociable qui
le pousse à vouloir tout régler à sa guise ; par suite il s'attend à rencontrer
des résistances de tous côtés, de même qu'il se sait lui-même enclin de son côté
à résister aux autres.



Or, c'est cette résistance qui éveille toutes les forces de l'homme, le porte
à vaincre son penchant à la paresse et, sous l'impulsion de l'ambition, de la
soif de dominer ou de la cupidité à se frayer une place parmi ses compagnons
qu'il ne peut souffrir mais dont il ne peut se passer. Or c'est là que
s'effectuent les premiers pas qui conduisent de la rudesse à la culture laquelle
réside à proprement parler dans la valeur sociale de l'homme. C'est alors que se
développent peu à peu tous les talents, que se forme le goût et que, par le
progrès continu des Lumières, commence à s'établir un mode de pensée qui peut,
avec le temps, transformer la grossière disposition au discernement moral en
principe pratique déterminé et, finalement, convertir l'accord pathologiquement
extorqué pour l'établissement d'une société en un tout moral (...)"


Kant Quatrième Proposition. Idée d'une histoire universelle au point de vue
cosmopolitique.1784.

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