Sunday, 26 April 2015

Sartre et l'élève

Le passage en question est simple ,il constitue une illustration de la théorie sartrienne de la liberté.

Situation du passage :

Dans les lignes qui précèdent, Sartre a évoqué l’angoisse. On a en effet reproché à l’existentialisme d’être un pessimisme. Et l’on peut comprendre ce reproche. En effet nous sommes dans l’après-guerre. La France a connu des années terribles.

Or que fait Sartre ? Il écrit en 1938 un roman qui s’intitule « La nausée ».

Et dans sa philosophie il parle d’un sentiment proche de la tristesse : l’angoisse.

Enfin le titre premier de la nausée était « Melancholia ».

Il y a là comme une dissonance : La France veut se divertir. Sartre lui propose apparemment un « pessimisme philosophique ».

Sartre va donc expliquer ce qu’est cette angoisse de la page 31 à 37.

L’angoisse n’est pas seulement un malaise ou une anxiété.
C’est un sentiment qui nait de la prise de conscience de la liberté.
En effet si Dieu existe, je n’ai qu’à me conformer à ses ordres.
Dieu ordonne j’obéis.
Pourtant même le croyant réalise qu’il doit choisir. C’est ce que Kierkegaard appelle l’angoisse d’Abraham.

(Søren Kierkegaard, 1813- 1855, est un philosophe danois qui a fortement influencé l’existentialisme et qui exprime son refus des grands systèmes philosophiques, notamment du système de Hegel.)
Dieu demande à Abraham de tuer son fils.
C’est un ordre. Toutefois Abraham doit choisir entre tuer et ne pas tuer.
Ce choix va produire en lui une angoisse.
Pourquoi ?

Parce que nous sommes responsables de tous nos actes.
Abraham sait bien que même si c’est un ordre de Dieu, il ne peut échapper à sa responsabilité.
C’est bien LUI qui aura tué son fils, qui portera le poids de ce geste.

Nous sommes tous dans la situation d’Abraham.
Nous sommes condamnés à choisir.
« Je suis condamne à être libre » dis Sartre dans l’Etre et le néant.
JE ne suis pas libre de cesser d’être libre.
Et cette responsabilité totale de mon existence et des autres (puisque j’engage aussi les autres) explique notre angoisse.

L’angoisse n’est donc pas l’anxiété des malades ou des mélancoliques.
L’angoisse est le sentiment qui accompagne toute liberté. Notre passage illustre justement cette nécessite du choix.


Idée générale : un élève va voir Sartre et se retrouve devant un dilemme CAD une alternative dont les solutions représentent des inconvénients. Problème : puis-je renoncer à ma liberté ?




Remarques concernant le texte :

Un élève de Sartre hésite entre deux choix possibles :
Venger son frère en s’engageant dans la résistance ou aider sa mère dans les tâches quotidiennes.
On s’aperçoit que cette action a la forme d’un dilemme : CAD une situation ou l’esprit hésite entre deux biens (l’amour du frère et de la patrie et l’amour de la mère) ou entre deux maux sans parvenir à choisir immédiatement.

Le théâtre de Corneille est connu pour exhiber ces conflits de moralité et nous proposer des situations aporétiques (des impasses morales qui provoquent la souffrance du héros). Mais le théâtre classique par le dilemme insiste sur la force morale du héros.
Le théâtre de Sartre montre que malgré ces « situations » nous demeurons libres.

Ici le dilemme est clair : Soit je m’engage dans la résistance au risque de provoquer la mort de ma mère. Soit j’aide ma mère mais en privant la résistance de la force et du courage d’un jeune homme de 17 ans.

Mais pour Sartre ces deux actions n’ont pas la même valeur : Le fait d’aider sa mère est une action « concrète » CAD qui s’accompagne d’effets immédiats.
Le fait d’aider la résistance est une action « ambiguë », dont les effets sont plus difficilement mesurables.

(On notera que Sartre s’est retrouvé pendant la guerre devant un dilemme semblable :
a) soit continuer à écrire et à faire des romans
b) Soit s’engager dans la résistance.
Sartre a voulu s’engager activement mais on a eu peur qu’il parle sous la torture. Il a donc participe à la résistance en tant qu’écrivain.)

Que veut montrer Sartre par cet exemple ?
L’élève fait l’expérience de la liberté. Faisant l’expérience de la liberté, il fait également l’expérience de l’angoisse. CAD qu’il est pleinement responsable de son existence.

La valeur de telle ou telle solution proviendra uniquement de son choix.
Or l’élève parce qu’il éprouve cette angoisse va voir son professeur.
Et ici il y a un danger.

Ce danger c’est le danger de la mauvaise foi. En effet cet élève attend peut être que le professeur lui indique la voie à suivre. CAD le dégage de cette responsabilité. Mais ce faisant il demande à ne plus être libre.

IL « suivra » les ordres du professeur comme certains suivent les ordres du prêtre ou du führer, du guide.
Ainsi Sartre va laisser l’élève face à son choix. Qu’est-ce donc que la mauvaise foi ? C’est le fait pour la liberté de se « nier elle-même ». Selon Sartre il y a deux attitudes inauthentiques qui mettent la liberté en danger :


1)La réification 
 Nier la liberté d’autrui.
Transformer un sujet libre en objet. 
Mettre une « étiquette » sur quelqu’un. 
Exemple : le regard.
Par son regard, autrui peut « fixer » mes
possibilités et m’enlever ma liberté
Le racisme est une réification (Cf. réflexions sur
la question juive).
2) la mauvaise foi

C’est le fait de nier sa propre liberté.
C’est la liberté se niant elle-même.
Se trouver de « bonnes » excuses.
 Exemple : L’élève qui accuse les circonstances du travail qu’il n’a pas fait.
Ici le fait pour l’élève de nier sa responsabilité dans la décision qu’il va prendre.


Or dans sa réponse, Sartre évite ces deux conduites inauthentiques :
Il évite la réification (qui consisterait par exemple à dire que l’élève n’est pas un être libre,  qu'il est ignorant, jeune etc.).
Ce faisant, Sartre permet à l’élève d’éviter la conduite de mauvaise foi (il aurait pu accuser Sartre de l’avoir « pousse » à choisir). Le professeur « force » l’élève à être libre en le mettant face à ses responsabilités. L’élève doit comprendre que nous sommes « condamnes à être libres ».

Conclusion : A la fin du passage Sartre montre l’inefficacité des systèmes moraux.

En effet les hommes vont se réfugier derrière des systèmes de moralité en disant : « Je suis chrétien » ou je suis kantien, comme si cela les dispensait de choisir. Derrière la philosophie morale il peut y avoir de la mauvaise foi et une forme de conformisme rassurant.

Or Selon Sartre, vous n’échappez pas à votre condition d’être libre.

Par exemple : Si vous dites que vous êtes chrétiens.
Alors vous avez une règle morale : Aime ton prochain comme toi-même.
Mais dans le cas de notre élève, on peut se demander qui est le prochain.
S’agit-il de ma mère ?
S’agit-il du camarade combattant ?
Donc la morale chrétienne ne nous est pas d’un grand secours.


De même si l’élève est kantien.
Que dira-t-il ?
Il faut traiter les autres comme des fins et non comme des moyens.
Mais là encore : Si je reste auprès de ma mère et que je demande à mes camarades résistants de m’apporter des vivres pour elle, je vais les traiter comme des moyens et ma mère comme une fin. Ce n’est pas acceptable.

Inversement, si je prends les résistants comme fins, je serai peut-être amené à demander à ma mère de l’argent pour m’acheter des armes, des vêtements. Ainsi c’est l’inverse, c’est-elle qui deviendra un moyen me permettant d’être un bon résistant. Ce n’est pas non plus acceptable.

Que voit-on ? C’est qu’aucune morale « inscrite » ne peut m’enlever le poids de ma responsabilité. Aucune morale, chrétienne ou kantienne, ne peut vous dire ce que vous devez faire. Car ce serait contradictoire avec le projet de la morale qui est de vous reconnaître comme des sujets libres.

C’est sans doute la raison pour laquelle Sartre a toujours hésité face à la rédaction d’un livre de Morale. On lui a parfois fait le reproche de ne pas l’avoir écrit. Il peut être dangereux d’écrire un livre sur la morale car le lecteur a tendance à attendre des « recettes » pratiques ou des conseils qui le dispensent de choisir.

Cependant dans ses notes, on a trouvé des documents réunis sous le titre « Cahiers pour une morale » dans lesquels Sartre réfléchit aux problèmes de l’éthique et de la liberté.

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