Le passage en question est simple ,il constitue une illustration de la
théorie sartrienne de la liberté.
Situation du passage :
Dans les
lignes qui précèdent, Sartre a évoqué l’angoisse. On a en effet reproché
à l’existentialisme d’être un pessimisme. Et l’on peut comprendre ce
reproche. En effet nous sommes dans l’après-guerre. La France a connu
des années terribles.
Or que fait Sartre ? Il écrit en 1938 un roman
qui s’intitule « La nausée ».
Et dans sa philosophie il parle d’un
sentiment proche de la tristesse : l’angoisse.
Enfin le titre premier de
la nausée était « Melancholia ».
Il y a là comme une dissonance : La
France veut se divertir. Sartre lui propose apparemment un « pessimisme
philosophique ».
Sartre va donc expliquer ce qu’est cette angoisse de la
page 31 à 37.
L’angoisse n’est pas seulement un malaise ou une
anxiété.
C’est un sentiment qui nait de la prise de conscience de la
liberté.
En effet si Dieu existe, je n’ai qu’à me conformer à ses
ordres.
Dieu ordonne j’obéis.
Pourtant même le croyant réalise qu’il
doit choisir. C’est ce que Kierkegaard appelle l’angoisse d’Abraham.
(Søren Kierkegaard, 1813- 1855, est un philosophe danois qui a
fortement influencé l’existentialisme et qui exprime son refus des
grands systèmes philosophiques, notamment du système de Hegel.)
Dieu
demande à Abraham de tuer son fils.
C’est un ordre. Toutefois Abraham
doit choisir entre tuer et ne pas tuer.
Ce choix va produire en lui une
angoisse.
Pourquoi ?
Parce que nous sommes responsables de tous nos
actes.
Abraham sait bien que même si c’est un ordre de Dieu, il ne peut
échapper à sa responsabilité.
C’est bien LUI qui aura tué son fils, qui
portera le poids de ce geste.
Nous sommes tous dans la situation
d’Abraham.
Nous sommes condamnés à choisir.
« Je suis condamne à être
libre » dis Sartre dans l’Etre et le néant.
JE ne suis pas libre de
cesser d’être libre.
Et cette responsabilité totale de mon existence et
des autres (puisque j’engage aussi les autres) explique notre angoisse.
L’angoisse n’est donc pas l’anxiété des malades ou des mélancoliques.
L’angoisse
est le sentiment qui accompagne toute liberté. Notre passage illustre
justement cette nécessite du choix.
Idée générale : un élève va voir
Sartre et se retrouve devant un dilemme CAD une alternative dont les
solutions représentent des inconvénients. Problème : puis-je renoncer à
ma liberté ?
Remarques concernant le texte :
Un élève de Sartre hésite entre deux choix possibles :
Venger
son frère en s’engageant dans la résistance ou aider sa mère dans les
tâches quotidiennes.
On s’aperçoit que cette action a la forme d’un
dilemme : CAD une situation ou l’esprit hésite entre deux biens (l’amour
du frère et de la patrie et l’amour de la mère) ou entre deux maux sans parvenir à
choisir immédiatement.
Le théâtre de Corneille est connu pour
exhiber ces conflits de moralité et nous proposer des situations
aporétiques (des impasses morales qui provoquent la souffrance du
héros). Mais le théâtre classique par le dilemme insiste sur la force
morale du héros.
Le théâtre de Sartre montre que malgré ces « situations
» nous demeurons libres.
Ici le dilemme est clair : Soit je m’engage
dans la résistance au risque de provoquer la mort de ma mère. Soit
j’aide ma mère mais en privant la résistance de la force et du courage
d’un jeune homme de 17 ans.
Mais pour Sartre ces deux actions n’ont pas
la même valeur : Le fait d’aider sa mère est une action « concrète »
CAD qui s’accompagne d’effets immédiats.
Le fait d’aider la résistance
est une action « ambiguë », dont les effets sont plus difficilement
mesurables.
(On notera que Sartre s’est retrouvé pendant la guerre
devant un dilemme semblable :
a) soit continuer à écrire et à faire des
romans
b) Soit s’engager dans la résistance.
Sartre a voulu s’engager
activement mais on a eu peur qu’il parle sous la torture. Il a donc
participe à la résistance en tant qu’écrivain.)
Que veut montrer Sartre par cet exemple ?
L’élève
fait l’expérience de la liberté. Faisant l’expérience de la liberté, il
fait également l’expérience de l’angoisse. CAD qu’il est pleinement
responsable de son existence.
La valeur de telle ou telle solution
proviendra uniquement de son choix.
Or l’élève parce qu’il éprouve
cette angoisse va voir son professeur.
Et ici il y a un danger.
Ce
danger c’est le danger de la mauvaise foi. En effet cet élève attend
peut être que le professeur lui indique la voie à suivre. CAD le dégage
de cette responsabilité. Mais ce faisant il demande à ne plus être
libre.
IL « suivra » les ordres du professeur comme certains suivent les
ordres du prêtre ou du führer, du guide.
Ainsi Sartre va laisser
l’élève face à son choix. Qu’est-ce donc que la mauvaise foi ? C’est le
fait pour la liberté de se « nier elle-même ». Selon Sartre il y a deux
attitudes inauthentiques qui mettent la liberté en danger :
1)La réification
Nier la liberté d’autrui.
Transformer un sujet libre en objet.
Mettre une « étiquette » sur quelqu’un.
Exemple : le regard.
Par son regard, autrui peut « fixer » mes
possibilités et m’enlever ma liberté
Le racisme est une réification (Cf. réflexions sur
la question juive).
2) la mauvaise foi
C’est le fait de nier sa propre liberté.
C’est la liberté se niant elle-même.
Se trouver de « bonnes » excuses.
Exemple : L’élève qui accuse les circonstances du travail qu’il n’a pas fait.
Ici le fait pour l’élève de nier sa responsabilité dans la décision qu’il va prendre.
Or dans sa réponse, Sartre évite ces deux conduites inauthentiques :
Il évite la réification (qui consisterait par exemple à dire que l’élève
n’est pas un être libre, qu'il est ignorant, jeune etc.).
Ce faisant, Sartre
permet à l’élève d’éviter la conduite de mauvaise foi (il aurait pu
accuser Sartre de l’avoir « pousse » à choisir). Le professeur « force »
l’élève à être libre en le mettant face à ses responsabilités. L’élève
doit comprendre que nous sommes « condamnes à être libres ».
Conclusion
: A la fin du passage Sartre montre l’inefficacité des systèmes
moraux.
En effet les hommes vont se réfugier derrière des systèmes de
moralité en disant : « Je suis chrétien » ou je suis kantien, comme si
cela les dispensait de choisir. Derrière la philosophie morale il peut y
avoir de la mauvaise foi et une forme de conformisme rassurant.
Or
Selon Sartre, vous n’échappez pas à votre condition d’être libre.
Par
exemple : Si vous dites que vous êtes chrétiens.
Alors vous avez une
règle morale : Aime ton prochain comme toi-même.
Mais dans le cas de
notre élève, on peut se demander qui est le prochain.
S’agit-il de ma
mère ?
S’agit-il du camarade combattant ?
Donc la morale chrétienne ne
nous est pas d’un grand secours.
De même si l’élève est kantien.
Que
dira-t-il ?
Il faut traiter les autres comme des fins et non comme des
moyens.
Mais là encore : Si je reste auprès de ma mère et que je
demande à mes camarades résistants de m’apporter des vivres pour elle,
je vais les traiter comme des moyens et ma mère comme une fin. Ce n’est
pas acceptable.
Inversement, si je prends les résistants comme fins, je
serai peut-être amené à demander à ma mère de l’argent pour m’acheter
des armes, des vêtements. Ainsi c’est l’inverse, c’est-elle qui
deviendra un moyen me permettant d’être un bon résistant. Ce n’est pas
non plus acceptable.
Que voit-on ? C’est qu’aucune morale « inscrite »
ne peut m’enlever le poids de ma responsabilité. Aucune morale,
chrétienne ou kantienne, ne peut vous dire ce que vous devez faire. Car
ce serait contradictoire avec le projet de la morale qui est de vous reconnaître comme des sujets libres.
C’est sans doute la raison pour
laquelle Sartre a toujours hésité face à la rédaction d’un livre de
Morale. On lui a parfois fait le reproche de ne pas l’avoir écrit. Il
peut être dangereux d’écrire un livre sur la morale car le lecteur a
tendance à attendre des « recettes » pratiques ou des conseils qui le
dispensent de choisir.
Cependant dans ses notes, on a trouvé des
documents réunis sous le titre « Cahiers pour une morale » dans lesquels
Sartre réfléchit aux problèmes de l’éthique et de la liberté.
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