Il est des
philosophes qui imaginent que nous sommes à chaque instant intimement
conscients de ce que nous appelons notre MOI, que nous en sentons l’existence
et la continuité d’existence, et que nous sommes certains, avec une évidence
qui dépasse celle d’une démonstration, de son identité et de sa simplicité
parfaites. La sensation la plus forte, la passion la plus violente disent-ils,
loin de nous détourner de cette vue, ne la fixent que plus intensément et nous
font considérer, par la douleur ou le
plaisir qui les accompagne, l’influence qu’elles exercent sur le moi.
Tenter d’en trouver une preuve supplémentaire serait en atténuer l’évidence,
puisqu’on ne peut tirer aucune preuve d’un fait dont nous sommes si intimement
conscients, et que nous ne pouvons être sûrs de rien si nous en doutons.
Malheureusement
toutes ces affirmations positives sont contraires à cette expérience même que
l’on invoque en leur faveur et nous n’avons aucune idée du moi de la manière
qu’on vient de l’expliquer. De quelle impression, en effet, cette idée pourrait
provenir ? Il est impossible de répondre à cette question sans une
contradiction et une absurdité manifestes et pourtant, c’est une question qui
doit trouver une réponse si nous voulons que l’idée du moi passe pour claire et
intelligible. Toute idée réelle doit provenir d’une impression particulière.
Mais le moi ou la personne, ce n’est pas une impression particulière, mais ce à
quoi nos diverses idées et impressions sont censées se rapporter. Si une
impression donne naissance à l’idée du moi, cette impression doit
nécessairement demeurer la même invariablement, pendant toute la durée de notre
vie, puisque c’est ainsi que le moi est supposé exister. Mais il n’y a pas
d’impression constante et invariable. La douleur et le plaisir, le chagrin et
la joie, les passions et les sensations se succèdent et n’existent jamais
toutes en même temps. Ce ne peut donc pas être d’une de ces impressions, ni de
toute autre que provient l’idée du moi, et en conséquence, il n’y a pas une
telle idée.
Hume, Traité
de la nature humaine, Livre I, L’entendement ( 1739)
IV partie,
section VI ( GF p 342-343 )
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