Maintenant habitue-toi à la pensée que la mort n'est rien pour nous,
puisqu'il n'y a de bien et de mal que dans la sensation et la mort est
absence de sensation. Par conséquent, si l'on considère avec justesse
que la mort n'est rien pour nous, l'on pourra jouir de sa vie mortelle.
On cessera de l'augmenter d'un temps infini et l'on supprimera le regret
de n'être pas éternel. Car il ne reste plus rien d'affreux dans la vie
quand on a parfaitement compris qu'il n'y a pas d'affres après cette
vie. Il faut donc être sot pour dire avoir peur de la mort, non pas
parce qu'elle serait un événement pénible, mais parce qu'on tremble en
l'attendant. De fait, cette douleur, qui n'existe pas quand on meurt,
est crainte lors de cette inutile attente !
Ainsi le mal qui
effraie le plus, la mort, n'est rien pour nous, puisque lorsque nous
existons la mort n'est pas là et lorsque la mort est là nous n'existons
pas. Donc la mort n'est rien pour ceux qui sont en vie, puisqu'elle n'a
pas d'existence pour eux, et elle n'est rien pour les morts, puisqu'ils
n'existent plus. Mais la plupart des gens tantôt fuient la mort comme le
pire des maux et tantôt l'appellent comme la fin des maux. Le
philosophe ne craint pas l'inexistence, car l'existence n'a rien à voir
avec l'inexistence, et puis l'inexistence n'est pas un méfait.
Lettre à Ménécée, trad. trad. E. Boyancé P.U.F.
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