Saturday, 3 January 2015

Karl Marx : Ce qui est animal devient humain, et ce qui est humain devient animal.

L'ouvrier s'appauvrit d'autant plus qu'il produit plus de richesse, que sa
production croît en puissance et en volume. L'ouvrier devient une marchandise. Plus le monde des choses augmente en valeur, plus le monde des hommes se dévalorise; l'un est en raison directe de l'autre. Le travail ne produit pas seulement des marchandises; il se produit lui-même et produit l'ouvrier comme une marchandise dans la mesure même où il produit des marchandises en général. Cela revient à dire que le produit du travail vient s'opposer au travail comme un être étranger, comme une puissance indépendante du producteur. Le produit du travail est le travail qui s'est fixé, matérialisé dans un objet, il est la transformation du travail en objet, matérialisation du travail. La réalisation du travail est sa matérialisation. Dans les conditions de l'économie politique, cette réalisation du travail apparaît comme la déperdition de l'ouvrier, la matérialisation comme perte et servitude matérielles, l'appropriation comme aliénation, comme dépouillement. ~. .1 Toutes ces conséquences découlent d'un seul fait: l'ouvrier se trouve devant le produit de son travail dans le même rapport qu'avec un objet étranger Cela posé, il est évident que plus l'ouvrier se dépense dans son travail, plus le monde étranger, le monde des objets qu'il crée en face de lui devient puissant, et que plus il s'appauvrit lui-même, plus son monde intérieur devient pauvre, moins il possède en propre. C'est exactement comme dans la religion. Plus l'homme place en Dieu, moins il conserve en lui-même. L'ouvrier met sa vie dans l'objet, et voilà qu'elle ne lui appartient plus, elle est à l'objet. Plus cette activité est grande, plus l'ouvrier est sans objet. Il n'est pas ce qu'est le produit de son travail. Plus son produit est important, moins il est lui-même. La dépossession de l'ouvrier au profit de son produit signifie non seulement que son travail devient un objet, une existence extérieure, mais que son travail existe en dehors de lui, indépendamment de lui, étranger à lui, et
qu'il devient une puissance autonome face à lui. La vie qu'il a prêtée à l'objet s'oppose à lui, hostile et étrangère… L'homme se sent agir librement seulement dans ses fonctions animales: manger, boire, procréer, ou encore, tout au plus, dans le choix de sa maison, de son habillement, etc.; en revanche, il se sent animal dans ses fonctions proprement humaines. Ce qui est animal devient humain, et ce qui est humain devient animal.

 K. Marx, Manuscrits de 1844, traduction de M. Rubel, Bibliothèque de la Pléiade, Éd. Gallimard, 1968, pp. 58-59.

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