« Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme
et la nature. L’homme y joue lui-même vis-àvis de la nature le rôle
d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et
jambes, tête et mains, il les met en mouvement, afin de s’assimiler des
matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu’il
agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie
sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent. Nous ne
nous arrêtons pas à cet état primordial du travail où il n’a pas encore
dépouillé son mode purement instinctif. Notre point de départ c’est le
travail sous une forme qui appartient exclusivement à l’homme. Une
araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et
l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de
plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais
architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la
cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat
auquel le travail aboutit, préexiste idéalement dans l’imagination du
travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de forme
dans les matières naturelles ; il y réalise du même coup son propre but
dont il a conscience, qui détermine comme loi son mode d’action, et
auquel il doit subordonner sa volonté. Et cette subordination n’est pas
momentanée. L’oeuvre exige pendant toute sa durée, outre l’effort des
organes qui agissent, une attention soutenue, laquelle ne peut elle même
résulter que d’une tension constante de la volonté. Elle l’exige
d’autant plus que, par son objet et son mode d’exécution, le travail
entraîne moins le travailleur, qu’il se fait moins sentir à lui, comme
le libre jeu de ses forces corporelles et intellectuelles ; en un mot,
qu’il est moins attrayant. »
Karl MARX, Le Capital, livre I, section 3, chapitre VII, I
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