§ 1. Nous convenons cependant que le temps ne peut exister sans
changement; car nous-mêmes, lorsque nous n'éprouvons aucun changement
dans notre pensée, ou que le changement qui s'y passe nous échappe, nous
croyons qu'il n'y a point eu de temps d'écoulé. Pas plus qu'il n'y en a
pour ces hommes dont on dit fabuleusement qu'ils dorment à Sardos
auprès des Héros, et qu'ils n'ont à leur réveil aucun sentiment du
temps, parce qu'ils réunissent l'instant qui a précédé à l'instant qui
suit, et n'en font qu'un par la suppression de tous les instants
intermédiaires, qu'ils n'ont pas perçus. Ainsi donc, de même qu'il n'y
aurait pas de temps, si l'instant n'était pas autre, et qu'il fût un
seul et même instant, de même aussi quand on ne s'aperçoit pas qu'il est
autre, il semble que tout l'intervalle n'est plus du temps. Mais si
nous supprimons ainsi le temps, lorsque nous ne discernons aucun
changement et que notre âme semble demeurer dans un instant un et
indivisible, et si, au contraire, lorsque nous sentons et discernons le
changement, nous affirmons qu'il y a du temps d'écoulé, il est évident
que le temps n'existe pour nous qu'à la condition du mouvement [219a] et
du changement. Ainsi, il est incontestable également, et que le temps
n'est pas le mouvement, et que sans le mouvement le temps n'est pas
possible…
. Mais, du moment qu'il y a antériorité [219b] et
postériorité, nous affirmons qu'il y a du temps. § 7. En effet, voici
bien ce qu'est le temps : le nombre du mouvement par rapport à
l'antérieur et au postérieur. § 8. Ainsi donc, le temps n'est le
mouvement qu'en tant que le mouvement est susceptible d'être évalué
numériquement. Et la preuve, c'est que c'est par le
nombre que
nous jugeons du plus et du moins, et que c'est par le temps que nous
jugeons que le mouvement est plus grand ou plus petit. Donc, le temps
est une sorte de nombre.
Aristote, Physique, Livre IV
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