Concluons qu’errant dans les forêts sans industrie, sans parole, sans
domicile, sans guerre, et sans liaisons, sans nul besoin de ses
semblables, comme sans nul désir de leur nuire, peut-être même sans
jamais en reconnaître aucun individuellement, l’homme sauvage sujet à
peu de passions, et se suffisant à lui-même, n’avait que les sentiments
et les lumières propres à cet état, qu’il ne sentait que ses vrais
besoins, ne regardait que ce qu’il croyait avoir intérêt de voir, et que
son intelligence ne faisait pas plus de progrès que sa vanité. Si par
hasard il faisait quelque découverte, il pouvait d’autant moins la
communiquer qu’il ne reconnaissait pas même ses enfants. L’art périssait
avec l’inventeur ; il n’y avait ni éducation ni progrès, les
générations se multipliaient inutilement ; et chacune partant toujours
du même point, les siècles s’écoulaient dans toute la grossièreté des
premiers âges, l’espèce était déjà vieille, et l’homme restait toujours
enfant.
JJ Rousseau : Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.
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