Saturday 29 November 2014

Hegel : le beau artistique est supérieur au beau naturel

D’après l’opinion courante, la beauté créée par l’art serait même bien au-dessous du beau naturel, et le plus grand mérite de l’art consisterait à se rapprocher, dans ses créations, du beau naturel. S’il en était vraiment ainsi, l’esthétique, comprise uniquement comme science du beau artistique, laisserait en dehors de sa compétence une grande partie du domaine artistique. Mais nous croyons pouvoir affirmer, à l’encontre de cette manière de voir, que le beau artistique est supérieur au beau naturel, parce qu’il est un produit de l’esprit. L’esprit étant supérieur à la nature, sa supériorité se communique également à ses produits et, par conséquent, à l’art. C’est pourquoi le beau artistique est supérieur au beau naturel. Tout ce qui vient de l’idée est supérieur à ce qui vient de la nature. La plus mauvaise idée qui traverse l’esprit d’un homme est meilleure et plus élevée que la plus grande production de la nature, et cela justement parce qu’elle participe de l’esprit et que le spirituel est supérieur au naturel.
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Ce qui nous plaît dans la beauté artistique, c'est précisément le caractère de liberté de sa production et de ses formes qui nous soustrait, semble-t-il, par la production et par l'intuition mêmes, aux liens de la règle et du réglé. Face à la rigueur de ce qui subit le joug des lois et face à la sombre intériorité de la pensée, nous cherchons l'apaisement et l'animation dans les figures de l'art ; face au royaume ténébreux des idées, une réalité animée et pleine de vie. Enfin, la source des œuvres d'art est la libre activité de l'imagination qui, dans ses images mêmes, est plus libre que la nature. Non seulement l'art dispose de l'entièreté du royaume des formes de la nature, dans leur paraître multiple et bigarré, mais l'imagination créatrice se montre inépuisable dans les productions qui lui sont propres. Face à cette plénitude démesurée de l'imagination et de ses libres réalisations, il semble donc que la pensée doive renoncer au projet hardi de saisir intégralement de pareilles réalisations, de les juger et de les ordonner sous ses formules universelles. […] Il est vrai qu'il y a des cas dans lesquels l'art peut être considéré comme un jeu éphémère destiné à l'amusement et à la distraction, comme un ornement qui sert à enjoliver l'aspect extérieur des rapports de la vie ou à mettre en relief, en les ornant, d'autres objets. Sous ce point de vue, il ne s'agit pas d'un art indépendant et libre, mais d'un art asservi. Mais ce que nous proposons d'étudier, c'est l'art libre dans sa fin et dans ses moyens. […] L'art beau n'est véritablement art qu'en cette liberté propre. 

Friedrich Hegel, Introduction à l’esthétique, chap. I, I, I

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