« Mais, en outre, autrui, en figeant mes possibilités, me révèle
l’impossibilité où je suis d’être objet, sinon pour une autre liberté.
Je ne puis être objet pour moi-même car je suis ce que je suis ; livré à
ses seules ressources, l’effort réflexif vers le dédoublement aboutit à
l’échec, je suis toujours ressaisi par moi. Et lorsque je pose
naïvement qu’il est possible que je sois, sans m’en rendre compte, un
être objectif, je suppose implicitement par là même l’existence
d’autrui, car comment serais-je objet si ce n’est pour un sujet ? Ainsi
autrui est d’abord pour moi l’être pour qui je suis objet, c’est à dire
l’être par qui je gagne mon objectité. Si je dois seulement concevoir
une de mes propriétés sur le mode objectif, autrui est déjà donné. Et il
est donné non comme être de mon univers, mais comme sujet pur. Ainsi ce
sujet pur que je ne puis , par définition, connaître, c’est-à-dire
poser comme objet, il est toujours là, hors de portée et sans distance
lorsque j’essaie de me saisir comme objet. Et dans l’épreuve du regard,
en m’éprouvant comme objectivité non révélée, j’éprouve directement et
avec mon être l’insaisissable subjectivité d’autrui.
J-P. Sartre, L’être et le néant (1943), éd. Gallimard, coll. « Tel », 1976, pp.259-260.
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